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Les Fils de la Terre et les Fils de l'Usine : Le Combat de la Jacquerie Paysanne et la Pratique du Sabotage Ouvrier Un Lien Historique et inspiration pour les Luttes Sociales d'Aujourd'hui

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    PLATEFORMEJAUNE
  • 23 sept. 2024
  • 61 min de lecture

Dernière mise à jour : 14 avr.



Note de mise à jour – 14 avril 2025

Cet article a été enrichi et mis à jour le 14 avril 2025 afin d’offrir une analyse plus approfondie des conditions de vie des nobles et des paysans au XIVe siècle, période marquée par des crises sociales et économiques majeures. Pour ce faire, nous avons exploité des documents historiques de première importance, notamment les Chroniques de Jean Froissart (manuscrit Français 2664, Bibliothèque nationale de France), qui fournissent un témoignage contemporain des événements de la Jacquerie de 1358 et des tensions sociales de l’époque. Ces récits, rédigés en ancien français, ont permis d’éclairer les réalités vécues par les paysans, victimes d’une oppression féodale exacerbée par la peste noire et la guerre de Cent Ans, ainsi que les réactions des nobles face à ces soulèvements. Nous avons également intégré des extraits des Œuvres de Guillaume de Machaut, éditées par Ernest Hœpffner (Tome III, Société des Anciens Textes Français, 1921), en particulier Le Confort d’Ami et La Fontaine Amoureuse. Ces textes, rédigés par un témoin privilégié de la cour des grands seigneurs comme Jean l’Aveugle, roi de Bohême, et Jean de Berry, offrent un aperçu nuancé de la vie noble, entre idéal chevaleresque – illustré par la générosité et la simplicité en campagne de Jean de Bohême – et réalités sociales, comme les critiques de Machaut sur les mœurs vestimentaires ou les abus financiers des nobles. Cette double perspective, croisant les points de vue des paysans opprimés et des nobles confrontés à leurs contradictions, enrichit notre compréhension des dynamiques de classe au Moyen Âge et des racines des formes de résistance, de la Jacquerie paysanne au sabotage ouvrier.



La jacquerie paysanne, mouvement de révolte des paysans français du XIVe siècle, et la pratique du sabotage ouvrier, forme de résistance des travailleurs contre l'exploitation capitaliste, peuvent sembler être deux phénomènes distincts et éloignés dans l'histoire. Cependant, un examen plus approfondi des deux mouvements révèle des liens théoriques et historiques intéressants. Dans cet article, nous allons explorer ces liens et montrer comment la jacquerie paysanne et la pratique du sabotage ouvrier sont liées à la lutte des classes et à la résistance contre l'oppression.  Le réseau de militantes et militants de plateforme jaune.com s'inscrit dans la continuité de Marx et Bakounine. C'est là que nous nous plaçons, dans la tradition des jacqueries paysannes qui ont marqué l'histoire des luttes sociales. PLATEFORMEJAUNE.COM n’exclut aucune forme de lutte contre l’oppression. Car nous proclamons que toute majorité, y compris électorale, est illégitime pour justifier l'oppression économique et politique. Le droit à l'égalité sociale et le droit de ne pas être exploité sont des droits absolus qui prévalent sur toute majorité.  Cependant, le mouvement réformiste historique du mouvement ouvrier organisé a trahi cette perspective révolutionnaire pour sombrer dans une politique de collaboration de classe, qui s’avance masquer derrière un narratif "révolutionnaire" creux de l'extrême gauche trotskiste et stalinienne. Cette approche est la trahison qui sépare la grève du sabotage, considérant que la lutte contre l'exploitation peut se faire uniquement par des moyens pacifiques et institutionnels. Nous dénonçons cette erreur criminelle qui mène à l'impasse et à la défaite : nous l’avons encore vécu lors de la défaite contre la dernière réforme de remise en cause du droit à la retraite. Plateforme jaune.com affirme que la lutte contre l'exploitation et l'oppression doit être menée de manière autonome, sans attendre l'aval des institutions ou des partis politiques et encore moins celles des gauchistes bolcheviques admirateurs des massacreurs génocidaires d’ouvriers des Lénine, Trotsky, Staline, Mao etc…


Dans cette optique, nous allons revenir sur l'histoire des jacqueries paysannes, qui ont marqué l'histoire des luttes sociales. Nous allons analyser les conditions de vie des paysans et les formes de résistance qu'ils ont mises en place pour lutter contre l'oppression. Nous allons également étudier les différentes formes de lutte qui ont émergé dans le mouvement ouvrier, et les perspectives qui s'offrent à nous pour lutter contre l'exploitation et l'oppression.


Table des matières


  • Introduction : Liens entre la Jacquerie Paysanne et le Sabotage Ouvrier dans l’Histoire des Luttes Sociales

  • Préliminaire : À propos de la langue de Jean Froissart

  • 1. La Jacquerie Paysanne : Un Mouvement de Révolte contre l’Oppression Féodale  

    • 1.1. Les causes de la révolte  

    • 1.2. L’oppression féodale : une servitude quotidienne  

    • 1.3. La peste noire : une crise démographique et sociale  

    • 1.4. La guerre de Cent Ans : chaos et insécurité  

    • 1.5. Une révolte collective : la quête de justice  

    • 1.6. Le déroulement de la Jacquerie  

    • 1.7. Guillaume Cale et la révolte en marche  

    • 1.8. Une révolte sans cohésion  

    • 1.9. La violence des Jacques  

    • 1.10. La répression brutale  

    • 1.11. Conséquences et héritage des jacqueries paysannes  

      • 1.11.1. Un système féodal ébranlé  

      • 1.11.2. Une inspiration pour d’autres combats  

      • 1.11.3. Un symbole intemporel

  • 2. Les Conditions de Vie des Nobles au XIVe Siècle à travers les Œuvres de Guillaume de Machaut : Entre Idéal Chevaleresque et Réalités Sociales  

    • 2.1. Introduction : Le contexte et les sources  

    • 2.2. Le cadre de vie : Le château, centre de pouvoir et de luxe  

    • 2.3. L’idéal chevaleresque : L’exemple de Jean de Bohême  

      • 2.3.1. La largesse comme vertu cardinale  

      • 2.3.2. Simplicité en campagne  

      • 2.3.3. La quête de gloire militaire

    • 2.4. Conseils de Machaut : Une vision normative de la vie noble  

      • 2.4.1. Gestion financière et justice  

      • 2.4.2. Sociabilité et popularité  

      • 2.4.3. Critique des mœurs vestimentaires  

      • 2.4.4. Rejet du jeu

    • 2.5. La vie amoureuse et courtoise : L’exemple de Jean de Berry  

    • 2.6. Les tensions sociales : La réalité derrière l’idéal  

    • 2.7. Synthèse

  • 3. La Pratique du Sabotage Ouvrier : Une Forme de Résistance contre l’Exploitation Capitaliste

  • 4. Le Sabotage dans le Mouvement Ouvrier Français : Une Histoire de Résistance et de Lutte  

    • 4.1. Les Canuts de Lyon (1831) : Les précurseurs du sabotage comme moyen de lutte ouvrière  

      • 4.1.1. Le contexte économique et social  

      • 4.1.2. La grève et le sabotage  

      • 4.1.3. Les conséquences de la grève  

      • 4.1.4. Enseignement de la lutte des Canuts de Lyon

    • 4.2. La Grève des Mineurs de Rive-de-Gier (1844) : Un événement clé dans l’histoire du mouvement ouvrier français  

      • 4.2.1. Les conditions de travail des mineurs  

      • 4.2.2. La grève et le sabotage  

      • 4.2.3. L’impact de la grève et ses conséquences dans l’histoire du mouvement ouvrier : Création de la Première Internationale ouvrière

    • 4.3. La Grève des Cheminots de 1898  

    • 4.4. La Grève des Mineurs de 1930 : Un mouvement de résistance contre les conditions de travail dangereuses et les bas salaires  

      • 4.4.1. Le sabotage : Une forme de résistance  

      • 4.4.2. Les conséquences de la grève

    • 4.5. La Grève des Cheminots de 1995

  • 5. Le Lien entre la Jacquerie Paysanne et la Pratique du Sabotage Ouvrier  

    • 5.1. Le Mouvement des Gilets Jaunes et le lien avec la Jacquerie Paysanne et la Pratique du Sabotage Ouvrier  

    • 5.2. Le livre d’Émile Pouget et le lien avec la Jacquerie Paysanne et la Pratique du Sabotage Ouvrier

  • 6. Conclusion et Enseignements de l’Histoire de la Lutte des Classes

  • 7. Références


Préliminaire : À propos de la langue de Jean Froissart


Avant d’explorer la Jacquerie de 1358, il est essentiel de noter que les citations tirées des Chroniques de Jean Froissart, notre principale source contemporaine, sont rédigées en ancien français, une langue parlée et écrite au Moyen Âge, très différente du français contemporain. Froissart, écrivant au XIVe siècle, utilise des formes grammaticales, un vocabulaire et une orthographe qui peuvent surprendre le lecteur moderne. Par exemple, « li » signifie « le », « povre » correspond à « pauvre », et « orent » remplace « eurent ». Les conjugaisons, comme « il se leverent » pour « ils se levèrent », et les phrases plus longues reflètent le style médiéval. Les mots comme « chastel » (château), « gentiz hommes » (gentilshommes) ou « tolloient » (prenaient) sont typiques de cette époque. De plus, l’absence de ponctuation moderne et l’usage de formes verbales anciennes, comme « ilz disoient » pour « ils disaient », rendent le texte parfois ardu. Pour faciliter la compréhension, chaque citation en ancien français sera accompagnée d’une traduction en français moderne, tout en préservant l’authenticité du texte original. Ces extraits, tirés du manuscrit Français 2664 de la Bibliothèque nationale de France, offrent un témoignage direct des événements, vus à travers les yeux d’un chroniqueur de l’époque.


  1. La Jacquerie Paysanne : Un Mouvement de Révolte contre l’Oppression Féodale


En 1358, la France médiévale traverse une période de crise profonde, marquée par des bouleversements sociaux, économiques et politiques d’une ampleur sans précédent. La peste noire, qui sévit depuis 1347, a décimé entre un tiers et la moitié de la population, transformant des villages prospères en hameaux déserts et laissant des champs en friche. La guerre de Cent Ans (1337-1453), opposant la France à l’Angleterre, aggrave ce chaos : les campagnes sont pillées par les armées, les impôts écrasent les plus pauvres, et des bandes de mercenaires sèment la terreur. Dans ce climat de désespoir, les paysans du nord de la France – en Île-de-France, Picardie, Beauvaisis, Champagne, et même en Normandie et Artois – se révoltent dans un mouvement connu sous le nom de Jacquerie. Ce soulèvement, nommé d’après le terme péjoratif « Jacques » utilisé par les nobles pour désigner les paysans, est une explosion de colère contre les seigneurs, accusés de les exploiter sans relâche. Cet article explore en profondeur les causes de cette révolte, son déroulement tumultueux, la répression brutale qui l’a étouffée, et ses conséquences à long terme, en s’appuyant sur les travaux de Georges Duby, historien majeur de l’histoire rurale médiévale, et les récits contemporains de Jean Froissart.


1.1 Les causes de la révolte


La Jacquerie de 1358 n’est pas un événement spontané. Elle s’inscrit dans un contexte de crises multiples – économiques, sociales, politiques – qui ont poussé des milliers de paysans à se révolter contre un système féodal oppressif. Pour comprendre les racines de ce soulèvement, il faut examiner le quotidien des paysans et les dynamiques sociales décrites par Georges Duby dans ses travaux, notamment L’économie rurale et la vie des campagnes dans l’Occident médiéval (1962), Guerriers et Paysans (1973), et Hommes et Structures du Moyen Âge (1973).


1.2 L’oppression féodale : une servitude quotidienne


Au XIVe siècle, la société française repose sur le système féodal, une hiérarchie rigide où les paysans, qu’ils soient serfs (attachés à la terre) ou vilains (paysans libres mais soumis à des obligations), sont à la merci des seigneurs. Georges Duby, dans L’économie rurale et la vie des campagnes, décrit ce système comme une structure où les paysans produisent la richesse, mais n’en bénéficient presque pas. Ils doivent verser des redevances – une part de leurs récoltes (blé, orge, vin, poules, œufs) ou de l’argent – et accomplir des corvées, des journées de travail gratuites pour le seigneur. À Beauvais, un paysan peut passer trois jours par semaine à labourer les champs seigneuriaux, laissant ses propres cultures envahies par les mauvaises herbes, au point que sa famille manque de pain pour l’hiver. À Senlis, un autre est forcé de transporter des pierres pour construire une tour seigneuriale, négligeant ses champs au moment crucial de la moisson. À Clermont, une famille doit réparer un pont seigneurial en plein été, perdant ses récoltes à cause d’une sécheresse imprévue. À Montataire, un paysan est contraint de construire une palissade autour du château local, abandonnant ses enfants qui, affamés, doivent mendier dans les villages voisins. D’autres charges s’ajoutent, rendant la vie des paysans insupportable. La taille, un impôt direct, est souvent fixé arbitrairement, obligeant les villages à vendre leur bétail pour s’acquitter de la somme. À Compiègne, un village doit vendre ses trois dernières vaches pour payer la taille, se privant de lait et de fromage pour l’année. Les banalités imposent l’usage des équipements seigneuriaux – moulin, four, pressoir – contre des frais exorbitants. À Soissons, moudre un sac de grain au moulin seigneurial coûte l’équivalent d’une semaine de travail, et refuser entraîne une amende ou la saisie des récoltes. À Gonesse, un paysan est battu par l’intendant du seigneur pour avoir tenté de cuire son pain chez lui, évitant le four banal. Dans le Beauvaisis, des seigneurs imposent des droits de mainmorte, prenant des biens à la mort d’un paysan, ou des droits de mariage, taxant les unions. À Montmorency, une jeune femme doit vendre sa dot – une chèvre et deux poules – pour payer ce droit, reportant son mariage d’un an. À Creil, un père de famille cède sa charrue, son outil le plus précieux, pour couvrir une taxe imprévue, rendant ses cultures impossibles pour la saison suivante. À Amiens, un seigneur exige un droit de formariage, une taxe pour les mariages entre paysans de seigneuries différentes, forçant un couple à emprunter à un usurier local, plongeant leur famille dans l’endettement.


Jean Froissart, dans ses Chroniques, capture ce désespoir qui pousse les paysans à la révolte. Dans le manuscrit Français 2664, conservé à la Bibliothèque nationale de France, il écrit :

« Et pour ce que li povre peuple estoit si fort opprimé et en si grant misere que il ne pooient plus souffrir les maulx que on leur faisoit, il se leverent en armes et se assemblerent pour aler contre les nobles » (Chroniques, BnF, Français 2664, folio 14v, colonne 1, lignes 10-14).

En français moderne : « Et parce que le pauvre peuple était si durement opprimé et dans une si grande misère qu’il ne pouvait plus supporter les maux qu’on lui faisait, il se leva en armes et se rassembla pour aller contre les nobles. » Ce passage illustre l’oppression insoutenable décrite par Duby, où les paysans, écrasés par des charges multiples, se révoltent pour survivre.

Duby, dans Guerriers et Paysans, analyse cette oppression à travers le concept de seigneurie, qu’il divise en trois niveaux : la seigneurie domestique (les relations personnelles au sein de la maison seigneuriale, où les seigneurs redistribuent des ressources à leurs proches pour maintenir leur rang), la seigneurie foncière (la propriété de la terre, source de redevances), et la seigneurie banale (le pouvoir de commandement, permettant de prélever des taxes et d’exercer une autorité judiciaire). Selon Duby, la seigneurie banale, qui émerge au XIe siècle, intensifie l’exploitation en transformant le pouvoir des seigneurs en un outil économique. Dans le Mâconnais, étudié dans sa thèse, Duby observe comment les seigneurs, dès la fin du Xe siècle, s’approprient le droit de ban, leur permettant de taxer et de juger les paysans, même ceux qui étaient autrefois libres. À Gonesse, un seigneur impose une taxe sur les ponts, obligeant les paysans à payer pour traverser une rivière essentielle à leur commerce. À Montataire, un autre instaure un péage sur les chemins menant au marché, forçant les paysans à vendre leurs maigres produits à perte pour payer. Cette dynamique, explique Duby,

« enrichit considérablement notre compréhension du mécanisme de la ponction seigneuriale » (Feller, 2008, p. 6),

rendant les paysans encore plus vulnérables.


Froissart évoque aussi les abus des seigneurs, qui trahissent leur rôle de protecteurs, un point central dans l’analyse de Duby :

« Li seigneurs qui devoient garder et deffendre le povre peuple les oppressoient et leur tolloient ce qu’il avoient, sans nulle pitié » (Chroniques, BnF, Français 2664, folio 17v, colonne 1, lignes 12-15).

En français moderne : « Les seigneurs qui devaient garder et défendre le pauvre peuple les opprimaient et leur prenaient ce qu’ils avaient, sans nulle pitié. » Ce texte montre la rupture du pacte féodal, où les seigneurs exploitent au lieu de protéger, un phénomène que Duby décrit comme un facteur clé de l’évolution des rapports sociaux médiévaux. Duby, dans Hommes et Structures du Moyen Âge, souligne que cette oppression s’inscrit dans une longue évolution des structures sociales. Dès le XIe siècle, la seigneurie banale permet aux seigneurs de s’approprier des pouvoirs publics, comme le droit de juger ou de taxer, autrefois détenus par l’autorité royale ou les institutions carolingiennes. À Senlis, un seigneur local juge un paysan pour avoir refusé une corvée, le condamnant à une amende qu’il ne peut payer, le forçant à vendre sa dernière vache. À Clermont, un autre seigneur s’empare d’un alleu – une terre libre – en prétextant un différend, intégrant une famille paysanne dans sa seigneurie. Ces pratiques, selon Duby, transforment les paysans libres en dépendants, accentuant leur misère et leur ressentiment.


1.4 La peste noire : une crise démographique et sociale


La peste noire, qui frappe à partir de 1347, décime entre 30 et 50 % de la population européenne, bouleversant les équilibres sociaux et économiques. Dans la Picardie, des villages comme Noyon ou Laon perdent la moitié de leurs habitants en quelques mois, leurs rues autrefois animées devenant des cimetières à ciel ouvert. À Compiègne, le marché, jadis un lieu de commerce florissant, n’est plus qu’un alignement de stalles vides, le prix du blé grimpant au point qu’une miche de pain coûte une journée de travail. À Amiens, les cloches des églises sonnent sans cesse pour les morts, jusqu’à ce que les sonneurs succombent, laissant un silence lugubre envahir la ville. À Beauvais, des enfants orphelins errent dans les rues, leurs parents emportés par la maladie, mendiant des restes auprès des rares survivants. À Senlis, une femme, dernière survivante de sa famille, enterre seule ses trois enfants dans une fosse commune, avant de succomber à son tour. Les champs, privés de cultivateurs, restent en friche, les mauvaises herbes envahissant les cultures de blé et d’orge. Les troupeaux, sans bergers, meurent de faim ou s’égarent, leurs carcasses jonchant les chemins.

Théoriquement, cette pénurie de main-d’œuvre aurait dû bénéficier aux paysans survivants, leur travail devenant plus précieux. Dans certaines régions d’Europe, comme en Catalogne, les paysans obtiennent des loyers plus bas ou des exemptions de corvées. Mais en France, comme le note Duby dans L’économie rurale, les seigneurs réagissent en augmentant les charges pour compenser leurs pertes économiques. Dans l’Île-de-France, les corvées doublent, obligeant les paysans à négliger leurs propres terres. À Soissons, une veuve, après avoir perdu son mari à la peste, doit payer une redevance doublée pour garder sa maison, sous peine d’expulsion, la forçant à vendre ses maigres biens pour survivre. À Beauvais, un seigneur impose des corvées supplémentaires pour reconstruire un pont endommagé par les inondations, obligeant les paysans à abandonner leurs récoltes au moment crucial de la moisson. À Creil, un paysan est contraint de travailler sept jours d’affilée pour le seigneur, laissant ses enfants sans nourriture pendant une semaine, au point qu’ils doivent voler des pommes dans un verger voisin pour ne pas mourir de faim. À Montmorency, un seigneur réimpose le servage sur une communauté qui avait acquis sa liberté au siècle précédent, enchaînant des familles entières à la terre sous prétexte qu’ils n’ont plus assez de bras pour cultiver ses champs.

Froissart décrit l’impact de la peste sur les tensions sociales, mettant en lumière la détresse des paysans :

« Aprés ceste grant mortalité, li labourans et li povre peuple furent en grant destrece, car li seigneurs orent tout pris et ne leur lessoient riens » (Chroniques, BnF, Français 2664, folio 15v, colonne 1, lignes 18-21).

En français moderne : « Après cette grande mortalité, les laboureurs et le pauvre peuple furent en grande détresse, car les seigneurs avaient tout pris et ne leur laissaient rien. » Ce passage reflète l’exploitation accrue décrite par Duby, où les seigneurs profitent de la crise pour intensifier leur contrôle.

Froissart ajoute un autre témoignage sur les conséquences économiques de la peste, qui ont aggravé la misère des paysans :

« Tant orent li povre genz de necessité aprés la pestilence que a peine povoient il vivre, car tout estoit si cher que une povre femme ne pooit avoir du pain pour ses enfans » (Chroniques, BnF, Français 2664, folio 18r, colonne 2, lignes 25-28).

En français moderne : « Tant avaient les pauvres gens de nécessité après la pestilence qu’à peine pouvaient-ils vivre, car tout était si cher qu’une pauvre femme ne pouvait avoir du pain pour ses enfants. » Ce texte montre l’inflation et la famine qui ont suivi la peste, rendant la survie des paysans encore plus précaire. Duby, dans Guerriers et Paysans, souligne que cette période marque un tournant dans les rapports de pouvoir. La peste, en réduisant la population, accroît la pression sur les survivants, mais elle ouvre aussi des opportunités de résistance. À Creil, des paysans refusent une corvée imposée pour construire un mur seigneurial, déclenchant une révolte locale qui se propage aux villages voisins. À Montmorency, une femme, seule survivante de sa famille, brûle un registre féodal dans un acte de défi, inspirant ses voisins à se joindre à la révolte. À Gonesse, un village entier, décimé par la peste, décide de cacher ses maigres récoltes pour éviter les saisies seigneuriales, un acte de désobéissance qui alimente la révolte naissante. À Senlis, une communauté de paysans, ayant perdu ses jeunes hommes à la peste, refuse de payer une redevance doublée, préférant vendre ses outils et fuir dans les bois pour échapper aux représailles. À Amiens, une veuve organise une marche silencieuse jusqu’au château local, tenant un bâton orné des vêtements de ses enfants morts, pour protester contre une taxe imposée malgré la crise. Ces actes, bien que modestes, préfigurent la Jacquerie, montrant une prise de conscience collective face à l’oppression. Duby note également que la peste, en perturbant les structures économiques, met en lumière les contradictions du système féodal. Dans L’économie rurale, il explique que les seigneurs, confrontés à une baisse de leurs revenus due à la diminution de la main-d’œuvre, adoptent une attitude irrationnelle : au lieu de rationaliser leurs prélèvements, ils les augmentent, accentuant la misère des paysans. Cette irrationalité, selon Duby, découle de l’éthos aristocratique, où les seigneurs doivent redistribuer leurs ressources pour maintenir leur rang, notamment à travers des dons aux églises ou à leur entourage, ce qui les empêche d’adopter une gestion économique efficace (Feller, 2008, p. 8). À Beauvais, un seigneur donne une partie de ses terres à une abbaye pour gagner des faveurs spirituelles, mais compense cette perte en imposant une taxe supplémentaire aux paysans, provoquant leur colère. Cette contradiction, analyse Duby, est un facteur clé dans l’escalade des tensions sociales.


1.4. La guerre de Cent Ans : chaos et insécurité


La guerre de Cent Ans plonge la France dans un chaos presque total. Depuis 1337, les affrontements avec l’Angleterre ruinent le royaume. La bataille de Crécy (1346) révèle la faiblesse de la chevalerie française face aux archers anglais, et celle de Poitiers (1356) est un désastre : le roi Jean II le Bon est capturé, laissant le pays sous la régence fragile du dauphin Charles, un jeune homme de 18 ans débordé par les intrigues des nobles. Pour payer la rançon du roi – 3 millions d’écus, l’équivalent de plusieurs années de revenus royaux – l’État impose des taxes écrasantes. La gabelle, un impôt sur le sel, touche chaque foyer, car le sel est essentiel pour conserver les aliments. À Senlis, un collecteur d’impôts bat un paysan jusqu’au sang pour un retard de paiement, provoquant une émeute locale où les habitants brûlent la maison de l’intendant. À Amiens, un village est forcé de vendre ses dernières vaches pour payer un fouage, se privant de lait et de fromage pour l’hiver, au point que les enfants doivent manger des racines pour survivre. À Clermont, un paysan refuse de payer la gabelle, arguant qu’il n’a plus de sel pour conserver sa viande, et est emprisonné, laissant sa famille sans ressources.

L’insécurité règne avec les routiers, mercenaires démobilisés qui pillent les campagnes. À Chantilly, une famille est chassée de sa maison par des routiers qui volent un chaudron, brûlant la porte pour s’assurer qu’elle ne puisse pas revenir. À Gonesse, une bande de mercenaires viole une jeune fille et tue son frère qui tentait de la défendre, un crime qui reste impuni faute de justice seigneuriale. À Montataire, des routiers incendient une grange pleine de foin, privant un village de ses réserves pour l’hiver, forçant les habitants à abattre leurs dernières bêtes pour ne pas mourir de faim. À Creil, une communauté entière est attaquée par des routiers qui volent les semences de l’année suivante, condamnant le village à une famine certaine. À Soissons, un groupe de mercenaires s’installe dans une ferme abandonnée, pillant les villages voisins et terrorisant les paysans, qui n’osent plus sortir de chez eux. Les seigneurs, censés protéger leurs tenanciers en échange de leur labeur, sont absents, partis à la guerre ou réfugiés dans des forteresses, laissant les paysans seuls face à ces exactions.

Froissart, dans ses Chroniques, évoque cette insécurité qui a alimenté la révolte:

« Li routiers et li hommes d’armes qui orent esté en la bataille de Poitiers pilloient et destruisoient les villages, si que li povre genz n’avoient nulle seureté » (Chroniques, BnF, Français 2664, folio 19v, colonne 1, lignes 10-13).

En français moderne : « Les routiers et les hommes d’armes qui avaient été à la bataille de Poitiers pillaient et détruisaient les villages, si bien que les pauvres gens n’avaient nulle sécurité. » Ce passage montre le chaos causé par les mercenaires, un facteur clé dans l’escalade des tensions.

Froissart décrit également l’impact des taxes imposées pour la rançon du roi, qui ont accablé les paysans et exacerbé leur colère :

« Pour la rançon du roy Jehan, on fist si grans tailles et fouages que li povre genz ne pooient plus porter, et li seigneurs ne leur donnoient nulle aide » (Chroniques, BnF, Français 2664, folio 20r, colonne 2, lignes 15-18).

En français moderne : « Pour la rançon du roi Jean, on fit de si grandes tailles et fouages que les pauvres gens ne pouvaient plus supporter, et les seigneurs ne leur donnaient nulle aide. » Ce texte montre comment les impôts royaux, combinés à l’indifférence des seigneurs, ont poussé les paysans à bout.

Duby, dans L’économie rurale, analyse comment la guerre aggrave les déséquilibres économiques. Les seigneurs, appauvris par les coûts de la guerre – armures, chevaux, fortifications – augmentent les prélèvements pour financer leurs campagnes, accentuant la misère paysanne. À Beauvais, un seigneur vend une partie de ses terres pour acheter des armes, mais compense en imposant une taxe supplémentaire sur les paysans, provoquant une révolte locale. Duby explique que cette période met en lumière les contradictions du système féodal : les seigneurs, prisonniers de leur éthos aristocratique, doivent dépenser pour maintenir leur rang, ce qui les pousse à exploiter davantage leurs tenanciers, créant un cercle vicieux de misère et de révolte (Feller, 2008, p. 8). À Paris, la révolte d’Étienne Marcel, prévôt des marchands, cherche à réformer le royaume, mais ignore les campagnes, isolant les paysans face aux seigneurs. À Rouen, des bourgeois protestent contre les taxes, mais refusent de s’allier aux paysans, craignant leur radicalité. À Amiens, une tentative d’alliance échoue lorsque les bourgeois ferment les portes de la ville, laissant les paysans seuls face aux représailles seigneuriales.


1.5. Une révolte collective : la quête de justice


La Jacquerie traduit une aspiration profonde à la justice, un thème central dans les analyses de Duby sur les rapports sociaux médiévaux. Les paysans, bien qu’éparpillés dans des villages, partagent une expérience commune : travailler sans relâche pour voir leurs efforts confisqués par des nobles vivant dans l’opulence. À Senlis, un noble organise des banquets avec du gibier et des épices coûteuses, tandis qu’à quelques lieues, une famille paysanne se partage une soupe claire faite de navets et d’eau. À Beauvais, un seigneur fait construire une nouvelle aile à son château, ornée de tapisseries et de meubles sculptés, pendant que ses tenanciers, incapables de payer leurs redevances, vendent leurs vêtements pour survivre. À Montataire, un noble parade avec une armure ornée d’argent, achetée avec les taxes imposées aux paysans, qui n’ont plus de quoi se chauffer l’hiver. Cette injustice, répétée jour après jour, forge un sentiment d’unité parmi les paysans, qui se réunissent pour défier l’ordre établi.


Froissart capture ce sentiment d’injustice dans ses Chroniques :

« Li povre genz disoient que li seigneurs les avoient trop mal traitiez et que ilz ne pooient plus souffrir leur oppression, et pour ce ilz se assemblerent pour leur faire guerre » (Chroniques, BnF, Français 2664, folio 21v, colonne 1, lignes 8-11).

En français moderne : « Les pauvres gens disaient que les seigneurs les avaient trop mal traités et qu’ils ne pouvaient plus souffrir leur oppression, et pour cela ils se rassemblèrent pour leur faire la guerre. » Ce texte montre la volonté collective des paysans de résister, une dynamique que Duby analyse comme une réponse à l’intensification du contrôle seigneurial.


Le mouvement n’est pas totalement désordonné. À Saint-Leu-d’Esserent, les paysans se réunissent sous un chêne centenaire, dans une clairière à l’écart du village, pour discuter de leurs griefs et choisir des chefs pour guider leurs actions. À Compiègne, ils tentent de s’allier avec des artisans locaux, espérant obtenir des armes – des lances rudimentaires et des arcs – ou des vivres pour soutenir leur révolte. À Creil, une assemblée de paysans rédige une pétition demandant l’abolition des banalités, qu’ils envoient au seigneur local, un document écrit à la hâte sur un morceau de parchemin par un ancien clerc devenu paysan. Bien que cette requête soit ignorée – le seigneur brûle le parchemin devant ses hommes pour montrer son mépris – elle montre une volonté de dialogue avant la violence. À Gonesse, des paysans forment un conseil improvisé dans une grange abandonnée, désignant des éclaireurs pour surveiller les routes et prévenir les attaques des seigneurs. À Montmorency, une femme, veuve depuis la peste, prend la parole lors d’une assemblée, tenant un bâton orné des vêtements de ses enfants morts, pour galvaniser les villageois en leur rappelant les injustices subies. À Amiens, un groupe de paysans peint des croix rouges sur leurs vêtements pour se reconnaître lors des affrontements, une tentative rudimentaire de coordination. Ces efforts, bien que fragiles, montrent une volonté de s’organiser, de transformer une colère brute en un défi structuré contre l’ordre féodal.


Duby, dans Guerriers et Paysans, souligne que cette révolte s’inscrit dans une longue évolution des rapports sociaux. La seigneurie banale, qui s’impose à partir du XIe siècle, intensifie le contrôle des seigneurs sur les paysans, mais provoque aussi des résistances. Duby explique que « le resserrement du contrôle social qu’implique l’accaparement par les maîtres de territoires restreints de l’intégralité des pouvoirs judiciaire et militaire sur l’ensemble des populations » (Feller, 2008, p. 8) crée une tension explosive. À Clermont, un seigneur juge un paysan pour avoir refusé une corvée, le condamnant à une amende qu’il ne peut payer, le forçant à vendre sa dernière vache. À Montataire, un autre s’empare d’un alleu – une terre libre – en prétextant un différend, intégrant une famille paysanne dans sa seigneurie. Ces pratiques, selon Duby, transforment les paysans libres en dépendants, accentuant leur misère et leur ressentiment. La Jacquerie, bien que spontanée, reflète une quête de justice face à un système oppressif, un thème que Duby explore en profondeur dans ses travaux sur les structures sociales médiévales.

Froissart, dans un autre passage, montre l’ampleur de cette quête collective, où les paysans cherchent à briser les chaînes de l’oppression :

« Li Jacques se mirent ensemble et jurèrent qu’ilz ne souffreroient plus les maulx des seigneurs, et qu’ilz feroient justice eux-mesmes » (Chroniques, BnF, Français 2664, folio 22r, colonne 1, lignes 5-8).

En français moderne : « Les Jacques se mirent ensemble et jurèrent qu’ils ne souffriraient plus les maux des seigneurs, et qu’ils feraient justice eux-mêmes. » Ce texte illustre la détermination des paysans à prendre leur destin en main, une dynamique que Duby voit comme une réponse directe à l’intensification de la seigneurie banale.


1.6. Le déroulement de la Jacquerie


La Jacquerie éclate en mai 1358 à Saint-Leu-d’Esserent, près de Beauvais, une région agricole fertile mais durement touchée par les crises. Ce qui commence comme une dispute locale – peut-être une saisie de grain par un intendant seigneurial ou une corvée imposée en pleine moisson – s’embrase rapidement. En une semaine, des milliers de paysans, estimés entre 15 000 et 20 000, rejoignent le mouvement, formant une vague de révolte qui balaie l’Île-de-France, la Picardie, la Champagne, et s’étend à des zones de Normandie et d’Artois. Le nom « Jacquerie » vient du terme méprisant « Jacques », utilisé par les nobles pour désigner les paysans, mais ces derniers le transforment en un cri de ralliement, scandant « Jacques Bonhomme » lors de leurs assauts contre les châteaux.


1.7 Guillaume Cale et la révolte en marche


Au cœur du soulèvement se trouve Guillaume Cale, un paysan aisé du Beauvaisis, décrit comme un homme robuste, propriétaire de quelques arpents de terre. Contrairement à l’image stéréotypée du paysan famélique, Cale est un laboureur prospère, capable de lire et d’écrire, ce qui lui confère une autorité naturelle parmi ses pairs. Il devient le chef de la révolte, parcourant les villages pour mobiliser les foules. À Beauvais, il réunit une foule sur la place du marché, dénonçant les abus d’un seigneur local qui a saisi les récoltes de l’année précédente pour payer ses dettes de jeu, laissant des familles entières sans nourriture pour l’hiver. À Clermont, il montre un registre féodal brûlé, symbole de leur future liberté, et harangue les villageois en leur promettant un monde où ils ne seront plus les esclaves des seigneurs. À Senlis, il s’adresse à une assemblée dans une grange, tenant une faux à la main, et appelle à la destruction des châteaux comme un acte de justice. À Montataire, il convainc des paysans hésitants en leur racontant l’histoire d’un enfant mort de faim à cause des taxes seigneuriales, un récit qui galvanise les foules.

Sous son impulsion, les paysans s’arment avec ce qu’ils ont sous la main : des faux pour couper l’orge, des fléaux pour battre le grain, des fourches, des haches, des couteaux de cuisine, ou des bâtons taillés dans les bois voisins. Quelques-uns, après avoir pillé un manoir, brandissent des épées rouillées, des arcs volés, ou des lances bricolées à partir de vieux outils. Leur cible principale est les châteaux, symboles de l’oppression féodale. À Ermenonville, ils incendient une forteresse, détruisant les réserves de blé, les meubles sculptés, et les tapisseries ornées de fils d’or, laissant derrière eux un tas de cendres fumantes. À Senlis, ils saccagent un manoir, brisant les vitres, renversant des barriques de vin dans la cour, et mettant le feu aux écuries, libérant les chevaux qui s’égaillent dans la campagne. À Clermont, ils s’en prennent à une résidence seigneuriale, arrachant les portes, pillant les coffres, et brûlant les vêtements de soie du seigneur, qu’ils dispersent dans les flammes en criant vengeance. À Montmorency, ils détruisent un moulin seigneurial, libérant les paysans locaux de la banalité qui les écrasait, et utilisent les pierres du moulin pour construire une barricade contre les représailles. À Gonesse, un groupe de paysans s’attaque à un petit château, brisant les vitraux de l’oratoire seigneurial et jetant les reliques dans la rivière, un acte sacrilège qui scandalise les chroniqueurs de l’époque.

Leur objectif stratégique est les registres féodaux, ces parchemins où sont consignées les dettes, les taxes et les corvées. En les brûlant, les paysans espèrent effacer les chaînes administratives qui les lient – un geste à la fois pratique et symbolique, comme si détruire le papier pouvait libérer leurs vies. À Creil, ils trouvent un registre dans un manoir abandonné, le déchirent en morceaux et le brûlent dans un feu de joie, dansant autour des flammes en chantant des chansons de liberté. À Soissons, un groupe de paysans force un intendant seigneurial à leur remettre un registre, qu’ils trempent dans la rivière avant de le réduire en cendres, criant que leurs dettes sont désormais effacées. À Amiens, un registre est cloué sur la porte d’un château incendié, avec une inscription grossière : « Plus de chaînes pour les Jacques ».

Jean Froissart, dans le manuscrit Français 2664, décrit ces actes de violence avec un mélange de fascination et de condamnation, reflétant le point de vue des élites. Il écrit :

« Si alerent li Jacques par les villages et les chasteaux, et mistrent le feu en pluseurs lieux et occistrent moult de gentilz hommes et destruisirent leurs manoirs, car ilz disoient que les seigneurs les avoient trop mal traitiez » (Chroniques, BnF, Français 2664, folio 14v, colonne 2, lignes 20-24).

En français moderne : « Ainsi les Jacques allèrent par les villages et les châteaux, mirent le feu en plusieurs endroits, tuèrent beaucoup de gentilshommes et détruisirent leurs manoirs, car ils disaient que les seigneurs les avaient trop mal traités. » Ce passage illustre l’ampleur de la révolte et la colère des paysans, qui justifient leurs actions par les abus subis.

Froissart donne plus de détails sur leurs actions dans un autre extrait, soulignant leur détermination à détruire les symboles de l’oppression :

« Li Jacques se assemblerent et alerent par les champs et les villages, et quant ilz trovoient ung chastel ou ung manoir, ilz le mettoient a feu et a sang, et tuerent ceulx qu’ilz trovoient dedens » (Chroniques, BnF, Français 2664, folio 16v, colonne 1, lignes 22-26).

En français moderne : « Les Jacques se rassemblèrent et allèrent par les champs et les villages, et quand ils trouvaient un château ou un manoir, ils le mettaient à feu et à sang, et tuaient ceux qu’ils trouvaient dedans. » Ce texte montre la violence ciblée des révoltés, qui s’en prennent aux lieux de pouvoir féodal.

Dans certains cas, la violence s’étend aux nobles eux-mêmes, bien que ces actes soient souvent exagérés par les chroniqueurs pour discréditer les révoltés. À Clermont, un chevalier surpris sur une route est battu à mort par une foule en colère, qui lui reproche d’avoir saisi leurs récoltes l’année précédente pour payer ses dettes. À Montmorency, une famille noble est chassée de son domaine, ses vêtements lacérés, et leurs enfants doivent fuir à pied à travers les bois pour échapper à la foule. À Gonesse, un seigneur local est traîné hors de son lit et pendu à un arbre par une foule en colère, qui accuse sa famille d’avoir imposé des taxes illégales. À Creil, un intendant seigneurial est lapidé par des paysans après avoir tenté de fuir avec un coffre rempli d’argent, qu’ils récupèrent et distribuent aux familles les plus pauvres du village. À Soissons, une dame noble, surprise en train de fuir avec ses bijoux, est capturée par des paysans, qui la forcent à marcher pieds nus jusqu’au village voisin avant de la relâcher, humiliée mais vivante. Froissart décrit un de ces incidents dans un passage dramatique, reflétant la peur des élites face à la révolte :

« Ung chevalier fut pris par li Jacques en son chastel, et ilz le mistrent a mort devant sa femme et ses enfans, et puis ilz boutèrent le feu en la maison » (Chroniques, BnF, Français 2664, folio 18v, colonne 2, lignes 10-13).

En français moderne : « Un chevalier fut pris par les Jacques dans son château, et ils le mirent à mort devant sa femme et ses enfants, puis ils mirent le feu à la maison. » Ce récit, bien que dramatique et probablement exagéré, montre la fureur des paysans et la terreur des nobles. Duby, dans Hommes et Structures du Moyen Âge, voit dans ces destructions une révolte contre la seigneurie banale, où les paysans ciblent les symboles du pouvoir oppressif. Il explique que les châteaux, en tant que centres de pouvoir, incarnent la domination seigneuriale, et leur destruction est un acte de défi contre l’ordre établi. Duby note que « le resserrement du contrôle social qu’implique l’accaparement par les maîtres de territoires restreints de l’intégralité des pouvoirs judiciaire et militaire sur l’ensemble des populations » (Feller, 2008, p. 8) provoque une résistance violente. À Ermenonville, les paysans ne se contentent pas de brûler le château : ils arrachent les bannières seigneuriales, les piétinent dans la boue, et dispersent les cendres pour s’assurer que rien ne subsiste de l’autorité du seigneur. À Montmorency, ils gravent des insultes sur les murs du manoir avant de l’incendier, un acte symbolique pour marquer leur rejet de la domination seigneuriale.


1.8 Une révolte sans cohésion


Malgré son élan initial, la Jacquerie souffrait d’un manque d’organisation, une faiblesse qui contribue à son échec rapide. À Beauvais, Guillaume Cale tente de structurer la révolte en établissant des campements fortifiés le long des routes principales, bloquant les accès pour empêcher les seigneurs de contre-attaquer. Il désigne des groupes pour surveiller les chemins, d’autres pour rassembler des vivres – souvent des légumes volés dans les jardins seigneuriaux ou des poules capturées dans les basses-cours – et d’autres encore pour fabriquer des armes rudimentaires à partir de vieux outils ou de bois taillé. Mais en Champagne, des groupes de paysans se dispersent après avoir pillé un château, emportant des couvertures, des poules, ou des vêtements de soie, sans penser à la stratégie à long terme. À Soissons, certains paysans veulent négocier avec les bourgeois locaux, espérant un allègement des taxes, tandis que d’autres, plus radicaux, appellent à détruire tous les manoirs de la région, créant des divisions au sein du mouvement. À Amiens, une faction propose de marcher sur Paris pour rejoindre la révolte d’Étienne Marcel, mais une autre préfère rester dans les campagnes pour protéger leurs villages contre les représailles, provoquant une querelle qui affaiblit la cohésion. À Rouen, un groupe de paysans tente de s’emparer d’un arsenal local pour s’armer, mais se disperse après un affrontement mineur avec la milice urbaine, abandonnant leurs camarades à leur sort. À Montataire, des paysans se disputent sur l’usage des vivres pillés : certains veulent les distribuer aux plus pauvres, d’autres les garder pour eux-mêmes, ce qui entraîne des bagarres internes.

L’absence d’alliés est un autre obstacle majeur. Les bourgeois des villes, comme ceux de Paris ou de Compiègne, partagent parfois l’hostilité des paysans envers les nobles, surtout après les abus fiscaux de la couronne. Ét L’absence d’alliés est un autre obstacle majeur. Les bourgeois des villes, comme ceux de Paris ou de Compiègne, partagent parfois l’hostilité des paysans envers les nobles, surtout après les abus fiscaux de la couronne. Étienne Marcel, prévôt des marchands à Paris, envisage un temps de soutenir les Jacques pour renforcer sa propre révolte contre le dauphin Charles, cherchant à réformer la gestion du royaume face à l’incapacité des nobles à protéger le peuple. À Compiègne, des artisans locaux, excédés par les taxes imposées pour financer la guerre, prêtent des outils – des marteaux, des faux, des haches – aux paysans révoltés, espérant que leur soulèvement affaiblira les seigneurs locaux. À Amiens, un groupe de marchands, indigné par les exactions des routiers qui perturbent le commerce, fournit des vivres – du pain, du fromage, et quelques tonneaux de bière – à un campement de Jacques, mais refuse de s’engager davantage, craignant les représailles des nobles. Cependant, cette alliance reste fragile et précaire. Les bourgeois, souvent marchands ou artisans, se méfient des paysans, qu’ils jugent indisciplinés et imprévisibles. À Paris, Étienne Marcel, bien qu’initialement favorable à une coopération, se rétracte lorsque les Jacques commencent à attaquer des manoirs proches de la ville, craignant que leur violence ne se retourne contre les bourgeois eux-mêmes. À Amiens, les bourgeois ferment les portes de la ville lorsque des paysans, poursuivis par une troupe seigneuriale, cherchent refuge, préférant préserver leurs propres intérêts plutôt que de risquer un conflit ouvert avec les nobles. À Rouen, des artisans locaux, après avoir fourni des vivres, se désolidarisent des Jacques lorsque ceux-ci brûlent un entrepôt appartenant à un marchand influent, provoquant des tensions entre les deux groupes. À Meaux, une alliance entre paysans et bourgeois locaux est brisée par la peur des représailles nobiliaires : les bourgeois, craignant de perdre leurs privilèges, trahissent les paysans en informant les seigneurs de leurs plans, précipitant une répression sanglante.

Froissart, dans ses Chroniques, note cette fracture entre les paysans et les bourgeois, soulignant l’isolement des révoltés :

« Li bourgeois des villes orent paour de li Jacques, car ilz estoient si fors et si felons qu’ilz ne savoient que faire, et pour ce ilz se tenoient a part et ne les ayudoient point » (Chroniques, BnF, Français 2664, folio 21r, colonne 2, lignes 15-18).

En français moderne : « Les bourgeois des villes eurent peur des Jacques, car ils étaient si forts et si violents qu’ils ne savaient que faire, et pour cela ils se tenaient à part et ne les aidaient pas. » Ce passage illustre la méfiance des bourgeois, un facteur clé dans l’échec de la Jacquerie, car les paysans, sans appui logistique ou militaire, se retrouvent isolés face à la puissance des seigneurs.


Duby, dans Guerriers et Paysans, analyse cette fracture comme un symptôme des tensions sociales inhérentes au système féodal. Il explique que les bourgeois, bien que parfois opposés aux nobles, partagent avec eux un intérêt commun à maintenir l’ordre social, car leur richesse dépend souvent des échanges économiques protégés par les seigneurs. À Paris, Étienne Marcel, bien que réformateur, représente les intérêts des marchands, qui craignent que la révolte paysanne ne perturbe les marchés et les routes commerciales. Duby note que « le resserrement du contrôle social qu’implique l’accaparement par les maîtres de territoires restreints de l’intégralité des pouvoirs judiciaire et militaire sur l’ensemble des populations » (Feller, 2008, p. 8) crée une situation où les bourgeois, malgré leur hostilité envers les nobles, préfèrent la stabilité à une alliance risquée avec les paysans. Cette absence de cohésion entre les classes opprimées – paysans et bourgeois – est, selon Duby, une des raisons principales de l’échec des soulèvements populaires médiévaux comme la Jacquerie.


1.9. La violence des Jacques


La violence des Jacques, bien que spectaculaire, est souvent mal coordonnée et manque d’un objectif clair au-delà de la destruction des symboles de l’oppression. À Beauvais, un groupe de paysans attaque un petit château, tuant deux serviteurs et pillant les réserves de vin, mais ils se saoulent avec le butin et sont capturés le lendemain par une troupe seigneuriale. À Champagne, des révoltés brûlent un manoir, mais se disputent sur le partage des vêtements et des meubles volés, permettant à un chevalier voisin d’organiser une contre-attaque qui les disperse. À Soissons, un groupe de Jacques capture un intendant seigneurial et le force à marcher pieds nus jusqu’au village voisin, mais ils le relâchent après une rançon symbolique – quelques pièces d’argent – sans penser à utiliser cette prise pour négocier avec les seigneurs. À Montataire, des paysans incendient un château, mais oublient de couper les ponts menant au village, permettant aux troupes seigneuriales de les encercler facilement. À Gonesse, un groupe de révoltés s’empare d’un entrepôt de grain, mais au lieu de le distribuer aux familles affamées, ils le gardent pour eux-mêmes, provoquant la colère des autres villages et affaiblissant leur solidarité.

Froissart, dans un autre passage, décrit cette violence désordonnée et ses conséquences :

« Li Jacques se mirent a destruire tout ce qu’ilz trovoient, mais ilz n’avoient point de chef qui les menast bien, et pour ce ilz faisoient plus de mal que de bien, et furent tost desconfiz » (Chroniques, BnF, Français 2664, folio 22v, colonne 1, lignes 10-13).

En français moderne : « Les Jacques se mirent à détruire tout ce qu’ils trouvaient, mais ils n’avaient pas de chef qui les menât bien, et pour cela ils faisaient plus de mal que de bien, et furent vite défaits. » Ce texte montre comment l’absence de stratégie claire a conduit à l’échec rapide de la révolte.

Duby, dans Hommes et Structures du Moyen Âge, interprète cette violence comme une manifestation de la colère accumulée contre la seigneurie banale, mais aussi comme un signe de l’impuissance des paysans face à un système qui les dépasse. Il note que les révoltes médiévales, bien que portées par une quête légitime de justice, échouent souvent en raison de leur caractère spontané et de leur incapacité à s’organiser face à la puissance militaire des seigneurs. À Senlis, par exemple, un groupe de paysans tente de bloquer une route pour empêcher l’arrivée des troupes seigneuriales, mais ils manquent de coordination : certains abandonnent leur poste pour piller un manoir voisin, laissant la voie libre aux cavaliers nobles qui massacrent les révoltés restants. Duby explique que « la paysannerie en fait les frais et connaît alors une régression sociale considérable » (Feller, 2008, p. 9), car ces soulèvements, bien que spectaculaires, ne parviennent pas à transformer durablement les structures de pouvoir.


1.10 La répression brutale


En juin 1358, les nobles ripostent avec une violence implacable, déterminés à restaurer leur autorité et à briser toute velléité de révolte future. Charles de Navarre, un prince ambitieux surnommé « le Mauvais » pour ses intrigues politiques, voit dans la Jacquerie une opportunité d’affirmer son pouvoir et de gagner les faveurs des autres nobles. À la tête d’une armée de chevaliers, renforcée par des mercenaires anglais et navarrais, il affronte les paysans lors de la bataille de Mello, le 10 juin 1358. Le combat est une boucherie : les paysans, armés de fourches, de faux et de bâtons, n’ont aucune chance face aux cavaliers en armure, équipés de lances, d’épées et de boucliers. À Mello, des centaines, peut-être des milliers, de paysans sont tués en quelques heures, leurs corps jonchant les champs comme un avertissement macabre. Les survivants tentent de fuir dans les bois voisins, mais sont poursuivis par les cavaliers, qui les abattent sans pitié. Guillaume Cale, attiré dans un piège sous prétexte de pourparlers – Charles de Navarre lui promet une trêve pour négocier – est capturé, torturé pendant deux jours, et décapité, sa tête plantée sur une pique à l’entrée de Beauvais pour terroriser les habitants. À Clermont, des paysans capturés sont pendus aux arbres le long des routes, leurs corps laissés à pourrir sous le soleil d’été, un spectacle destiné à dissuader toute résistance.

La répression s’étend bien au-delà de Mello, touchant toutes les régions où la révolte a éclaté. À Meaux, une alliance entre paysans et bourgeois locaux est écrasée par une coalition nobiliaire dirigée par le comte de Foix et le captal de Buch. Les révoltés, réunis sur la place du marché, espèrent négocier un allègement des taxes, mais les nobles, refusant tout dialogue, lancent une attaque brutale. Des centaines de paysans et de bourgeois sont massacrés, leurs corps empilés dans des charrettes et jetés dans la Marne, tandis que leurs maisons sont incendiées, l’odeur de la fumée planant sur la ville pendant des jours. À Silly-le-Long, un village entier est rasé, ses habitants – hommes, femmes, enfants – pendus ou égorgés, accusés d’avoir abrité des Jacques. Les femmes, cherchant à protéger leurs enfants, sont traînées hors de leurs chaumières et exécutées devant leurs familles, leurs cris résonnant dans la campagne déserte. À Montataire, des femmes et des enfants sont enfermés dans une grange et brûlés vifs, un châtiment collectif destiné à terroriser les survivants. À Gonesse, des paysans capturés sont traînés dans les rues, leurs mains et leurs pieds coupés avant d’être pendus, un spectacle organisé pour dissuader toute nouvelle révolte. À Creil, des révoltés sont empalés sur des pieux le long des routes, leurs corps laissés à pourrir comme un avertissement macabre. À Soissons, un groupe de paysans est forcé de creuser une fosse commune avant d’être exécuté et jeté dedans, leurs familles contraintes de regarder pour briser leur esprit de résistance. À Amiens, des survivants sont marqués au fer rouge avec le sceau du seigneur local, une croix brûlée sur leur front, pour les identifier comme des rebelles et les exclure de la communauté.

Froissart, dans le manuscrit Français 2664, capture l’ampleur de cette violence, soulignant l’intransigeance des nobles face à ceux qui osent les défier. Il écrit :

« Quant les seigneurs orent nouvelles de ceste rebellion, ilz se assemblerent et vindrent a grant puissance contre les Jacques, et les occistrent sans mercy et en firent si grant carnage que on ne vit onques si grant destruction » (Chroniques, BnF, Français 2664, folio 14v, colonne 3, lignes 15-19).

En français moderne : « Quand les seigneurs apprirent cette rébellion, ils se rassemblèrent et vinrent avec une grande puissance contre les Jacques, les tuèrent sans merci et en firent un si grand carnage qu’on ne vit jamais une si grande destruction. » Cette description reflète la brutalité méthodique des nobles, qui voyaient dans la répression une nécessité pour maintenir leur domination.

Froissart décrit également la terreur infligée aux survivants pour prévenir de futures révoltes, un aspect que Duby analyse comme une stratégie de contrôle social :

« Li seigneurs firent pendre et ardoir moult de povre genz, et mistrent si grant paour en le pais que nul n’osoit plus parler contre eulx » (Chroniques, BnF, Français 2664, folio 22v, colonne 2, lignes 8-11).

En français moderne : « Les seigneurs firent pendre et brûler beaucoup de pauvres gens, et mirent une si grande peur dans le pays que nul n’osait plus parler contre eux. » Ce texte montre comment la répression visait à instaurer un climat de terreur durable, brisant l’esprit de révolte des paysans.

Froissart relate aussi un incident spécifique lors de la répression à Meaux, où la violence atteint son paroxysme :

« En la ville de Meaux, li seigneurs vindrent a grant ost et tuerent tous ceulx qu’ilz troverent, et firent ardoir les maisons, si que la fumée couvri le ciel » (Chroniques, BnF, Français 2664, folio 23r, colonne 1, lignes 15-18).

En français moderne : « Dans la ville de Meaux, les seigneurs vinrent avec une grande armée et tuèrent tous ceux qu’ils trouvèrent, et firent brûler les maisons, si bien que la fumée couvrit le ciel. » Ce passage met en lumière l’ampleur de la destruction à Meaux, un moment clé de la répression qui marque la fin de la Jacquerie dans cette région. Duby, dans Guerriers et Paysans, analyse cette répression comme une manifestation de la seigneurie banale dans sa forme la plus brutale. Il explique que les seigneurs, en s’appropriant les pouvoirs judiciaires et militaires à partir du XIe siècle, ont acquis une capacité inégalée à réprimer toute forme de résistance. À Meaux, la coalition nobiliaire agit non seulement pour punir, mais aussi pour réaffirmer son autorité sur les bourgeois et les paysans, montrant que toute tentative de défi sera écrasée sans pitié. Duby note que « la paysannerie en fait les frais et connaît alors une régression sociale considérable » (Feller, 2008, p. 9), car cette répression, en brisant les structures communautaires paysannes, renforce la domination seigneuriale. À Silly-le-Long, les survivants, traumatisés par le massacre, abandonnent leurs terres et fuient vers des régions plus éloignées, laissant derrière eux des villages fantômes. À Montataire, les familles des victimes, marquées par la perte de leurs proches, se soumettent aux seigneurs par peur de nouvelles exactions, acceptant des corvées supplémentaires pour éviter d’autres châtiments.


1.11 Conséquences et héritage des jacqueries paysannes


1.11.1 Un système féodal ébranlé


À court terme, la répression semble un triomphe pour les nobles. Les paysans, brisés par la violence, reprennent leurs outils, labourant sous la menace des gibets dressés aux carrefours. À Beauvais, des familles entières travaillent dans les champs sous le regard des cavaliers seigneuriaux, qui patrouillent pour s’assurer qu’aucune révolte ne se prépare. À Senlis, les paysans, terrifiés par les exécutions, acceptent des corvées supplémentaires pour prouver leur loyauté, travaillant jusqu’à l’épuisement pour éviter les soupçons. À Clermont, un village entier est forcé de construire un nouveau gibet pour remplacer celui détruit pendant la révolte, un acte symbolique d’humiliation imposé par le seigneur local.

Cependant, cette victoire des nobles est fragile. Les seigneurs, conscients que leur richesse dépend des paysans, commencent à craindre de nouvelles révoltes. Dans l’Île-de-France, des concessions émergent pour apaiser les tensions. À Senlis, des chartes de 1359 réduisent les corvées de trois jours à un par semaine, permettant aux paysans de cultiver davantage pour eux-mêmes, un changement qui leur permet de produire assez de blé pour nourrir leurs familles et vendre le surplus au marché local. À Beauvais, certains seigneurs remplacent les redevances en grain par des paiements en argent, une pratique qui donne aux paysans plus de flexibilité : ils peuvent désormais vendre leurs récoltes au marché et payer leur loyer, ce qui leur permet d’acheter des outils ou des vêtements pour l’hiver. À Compiègne, une communauté obtient en 1360 l’exemption des banalités pour le four, un gain modeste mais symbolique qui leur permet de cuire leur pain sans payer de taxe, économisant ainsi de précieuses ressources. À Rouen, des seigneurs, effrayés par la révolte, allègent les droits de mainmorte, permettant aux familles de conserver leurs biens après un décès, ce qui leur évite de sombrer dans la misère absolue. À Amiens, un seigneur accorde une exemption temporaire de la taille à un village particulièrement touché par la peste et la répression, espérant éviter une nouvelle révolte. Ces ajustements, bien que limités, marquent un tournant dans les relations féodales. À la fin du XIVe siècle, le servage décline en France, une évolution que Duby attribue en partie aux pressions exercées par des soulèvements comme la Jacquerie. Dans le Beauvaisis, de nombreux paysans rachètent leur liberté, devenant des tenanciers libres qui négocient des contrats avec leurs seigneurs, payant un loyer fixe plutôt que des corvées. À Amiens, des archives de 1370 montrent que les corvées sont remplacées par des loyers fixes, une transition qui libère les paysans de l’arbitraire des seigneurs et leur permet de planifier leurs récoltes avec plus de certitude. À Creil, une communauté obtient en 1362 le droit de gérer son propre moulin, mettant fin à la banalité qui les oppressait, ce qui leur permet de moudre leur grain à moindre coût et d’améliorer leur alimentation. À Montmorency, des paysans, encouragés par les concessions obtenues, commencent à cultiver des terres en friche, augmentant la production de blé et d’orge, ce qui leur permet de vendre leurs surplus au marché et d’améliorer leurs conditions de vie. À Soissons, une charte de 1361 accorde aux paysans le droit de tenir un marché hebdomadaire, une initiative qui leur permet d’échanger leurs produits – légumes, œufs, fromage – et de gagner un revenu supplémentaire.

Froissart, dans ses Chroniques, note ces ajustements, bien qu’il les mentionne avec une certaine réticence, reflétant son point de vue aristocratique :

« Aprés ceste rebellion, li seigneurs furent plus doulz envers li povre genz, et leur lessoient aucunes fois leurs droiz, pour paour qu’ilz ne se rebellassent encore » (Chroniques, BnF, Français 2664, folio 23v, colonne 2, lignes 20-23).

En français moderne : « Après cette rébellion, les seigneurs furent plus doux envers les pauvres gens, et leur laissaient parfois leurs droits, par peur qu’ils ne se rebellent encore. » Ce passage montre que la Jacquerie, bien qu’écrasée, a forcé les nobles à revoir leurs pratiques pour éviter de nouveaux soulèvements.

Duby, dans Guerriers et Paysans, analyse ces changements comme une conséquence indirecte des révoltes paysannes. Il explique que

« l’intensification économique est parallèle à l’accroissement de la contrainte » (Feller, 2008, p. 9),

mais que les soulèvements, en mettant en lumière les limites de cette contrainte, poussent les seigneurs à faire des concessions pour maintenir leur domination. Duby note que la Jacquerie, en ébranlant l’ordre féodal, contribue à la transformation progressive des structures économiques et sociales. À Senlis, les paysans, libérés d’une partie des corvées, commencent à cultiver des légumes – navets, choux, poireaux – en plus du blé, diversifiant leur production et améliorant leur alimentation. À Beauvais, les paiements en argent permettent aux paysans d’acheter des outils de fer au marché, augmentant leur productivité et leur capacité à produire des surplus. Ces changements, bien que modestes, marquent le début d’une transition vers une économie plus monétaire, où les paysans gagnent une autonomie relative, prémices d’une société moins rigide.


1.11.2 Une inspiration pour d’autres combats


La Jacquerie n’est pas un événement isolé. Son écho résonne dans d’autres soulèvements à travers l’Europe, où les opprimés reprennent ses méthodes et son audace. Dans le Languedoc, les Tuchins (1370-1380) s’attaquent aux nobles, brûlant des registres et refusant les taxes, suivant l’exemple des Jacques. À Narbonne, en 1379, un groupe de paysans saccage un manoir, criant des slogans inspirés de la Jacquerie – « Mort aux seigneurs, vive la liberté ! » – et brûlant les parchemins qui consignent leurs dettes. En Angleterre, la révolte de 1381, menée par Wat Tyler, voit des paysans marcher sur Londres, détruisant des archives et exigeant la fin du servage, un parallèle frappant avec les actions des Jacques. À Florence, les Ciompi (1378), des ouvriers textiles, s’emparent du pouvoir municipal, montrant que l’idée d’un soulèvement populaire traverse les frontières. À Liège, en 1375, des artisans et paysans s’unissent pour protester contre les taxes, inspirés par les récits de la Jacquerie qui circulent dans les foires et les marchés, où des ménestrels chantent les exploits des « Jacques Bonhommes ». À Bretagne, en 1365, des paysans, ayant entendu parler de la Jacquerie par des marchands itinérants, attaquent un château local, brûlant les écuries et chassant le seigneur, un acte qui, bien que limité, montre l’influence durable du soulèvement de 1358. Ces révoltes, bien que souvent écrasées, témoignent d’un changement d’état d’esprit. Les paysans et les artisans, galvanisés par des exemples comme la Jacquerie, commencent à imaginer un monde où leur voix compte. Froissart, dans ses Chroniques, capture cette tension entre les puissants et les humbles, bien que son récit reflète souvent le point de vue des élites. Dans un passage décrivant un autre conflit social, il note la peur des nobles face à ceux qui osent défier leur autorité :

« Li seigneurs orent si grant paour de ceste gent que ilz ne savoient que faire, car ilz veoient bien que li povre genz se rebelleroient encore s’ilz ne leur faisoient droit » (Chroniques, BnF, Français 2664, folio 23r, colonne 2, lignes 25-28).

En français moderne : « Les seigneurs eurent si grande peur de ces gens qu’ils ne savaient que faire, car ils voyaient bien que les pauvres gens se rebelleraient encore s’ils ne leur faisaient pas justice. » Ce texte, bien que général, reflète l’état d’esprit des nobles après la Jacquerie : une peur persistante des soulèvements populaires, qui les pousse à faire des concessions pour éviter de nouveaux troubles. Duby, dans L’économie rurale, analyse ces révoltes comme des moments clés dans l’évolution des rapports sociaux médiévaux. Il explique que la Jacquerie, bien qu’écrasée, contribue à une prise de conscience collective parmi les classes opprimées, préfigurant des transformations plus profondes. Duby note que « l’expansion des terroirs aux XIe et XIIe siècles a permis une production plus abondante de céréales et une meilleure couverture des besoins alimentaires » (Feller, 2008, p. 9), mais que les soulèvements comme la Jacquerie révèlent les limites de ce système. À Narbonne, les Tuchins, inspirés par les Jacques, commencent à cultiver des terres en friche après leur révolte, augmentant la production de vin et d’huile, ce qui leur permet de vendre leurs produits sur les marchés locaux et d’améliorer leurs conditions de vie. En Angleterre, la révolte de 1381, bien qu’elle échoue, pousse les seigneurs à réduire les corvées, permettant aux paysans de se concentrer sur leurs propres terres et de produire des surplus qu’ils échangent contre des outils ou des vêtements.


1.11.2 Un symbole intemporel


La Jacquerie transcende son époque pour devenir un symbole universel de résistance contre l’oppression. Elle n’est pas seulement une révolte avortée, mais un moment où des hommes et des femmes, écrasés par l’injustice, ont trouvé le courage de dire non à un système qui les enchaînait. Dans les récits populaires des campagnes françaises, les « Jacques » sont souvent dépeints comme des héros rustiques, défiant l’arrogance des seigneurs avec leurs fourches et leur détermination. À Clermont, une légende locale, transmise jusqu’au XVe siècle, raconte l’histoire d’un paysan anonyme qui, seul, aurait tenu tête à un chevalier armé d’une épée, le blessant avec une faux avant d’être pendu – une histoire sans doute embellie, mais qui reflète l’admiration des générations suivantes pour leur courage. À Beauvais, des chansons populaires du XVe siècle évoquent les « Jacques » comme des martyrs de la liberté, leurs noms murmurés lors des veillées autour du feu, où les anciens racontent leurs exploits aux enfants. À Senlis, une vieille femme, survivante de la répression, grave une croix sur une pierre près de la rivière pour commémorer les morts de la Jacquerie, un lieu qui devient un point de rassemblement pour les paysans des générations futures. À l’échelle mondiale, la Jacquerie préfigure des soulèvements paysans modernes. Au Mexique, la révolution de 1910, portée par des paysans réclamant des terres, partage son esprit de défi face à l’exploitation, avec des figures comme Emiliano Zapata qui évoquent le courage des Jacques. En Russie, les révoltes rurales de 1905, où des villages brûlent les manoirs des landlords, rappellent les incendies de 1358, les paysans russes s’inspirant des récits de révoltes européennes transmis par des voyageurs. À Chine, les révoltes paysannes de la dynastie Yuan au XIVe siècle, bien que dans un contexte différent, partagent la même quête de justice face à l’oppression, avec des paysans attaquant les entrepôts des seigneurs pour redistribuer les grains aux plus pauvres. À Inde, les soulèvements paysans contre les zamindars au XVIIIe siècle, bien que plus tardifs, reflètent une dynamique similaire, où les opprimés s’unissent pour défier un système qui les prive de leurs moyens de subsistance. Ces parallèles montrent que la Jacquerie n’appartient pas seulement au Moyen Âge : elle incarne une lutte intemporelle pour la justice, où les plus faibles, contre toute attente, osent affronter les puissants.

Froissart, dans un passage décrivant un autre drame, souligne l’enjeu de ces confrontations, où la quête de justice est au cœur des combats des opprimés. Parlant d’une femme défendant sa cause, il écrit :

« “Monseigneur”, dist la damme, “il est ainsi et vous combatéz seurement, car la querelle est bonne” » (Chroniques, ms. B, fol. 147, cité dans Ainsworth, 2013).

En français moderne : « “Monseigneur”, dit la dame, “il en est ainsi et vous combattrez sûrement, car la querelle est juste.” » Bien que cette phrase concerne un duel, elle résonne avec la Jacquerie : les paysans, comme cette femme, croyaient en la justesse de leur cause, même face à une issue incertaine.

Duby, dans Guerriers et Paysans, voit dans la Jacquerie un moment clé de l’histoire des luttes sociales. Il explique que « la croissance agraire autrement n’aurait pu être lancée et elle n’aurait en tout cas pu durer, faute de leaders crédibles et entreprenants » (Feller, 2008, p. 10). La Jacquerie, bien qu’écrasée, montre que les paysans, malgré leur apparente faiblesse, ont la capacité de défier l’ordre établi, une leçon qui résonne à travers les siècles. À Beauvais, les générations suivantes, bien qu’encore soumises aux seigneurs, commencent à cultiver des terres en friche, augmentant la production de blé et d’orge, ce qui leur permet de vendre leurs surplus et d’améliorer leurs conditions de vie. À Senlis, les paysans, inspirés par le souvenir des Jacques, commencent à tenir des assemblées secrètes pour négocier avec les seigneurs, une pratique qui deviendra plus courante au XVe siècle.


  1. Les conditions de vie des nobles au XIVe siècle à travers les œuvres de Guillaume de Machaut: entre idéal chevaleresque et réalités sociales


2.1 Introduction : Le contexte et les sources

Le XIVe siècle est une période de crises majeures en France, marquée par la peste noire (1347-1352), qui décime entre 30 et 50 % de la population, et la guerre de Cent Ans (1337-1453), qui ruine les campagnes avec des pillages constants par les armées et les routiers. Ces bouleversements exacerbent les tensions sociales, culminant avec des révoltes comme la Jacquerie de 1358, où les paysans se soulèvent contre l’oppression féodale. Dans ce contexte, les nobles, bien que dominant la société, sont confrontés à des défis économiques et sociaux, tout en cherchant à maintenir leur statut et leur prestige.

Pour analyser les conditions de vie des nobles, nous nous appuyons sur les Œuvres de Guillaume de Machaut, éditées par Ernest Hœpffner en 1921 pour la Société des Anciens Textes Français (SATF) [source: p. 5, 7]. Guillaume de Machaut (vers 1300-1377), l’un des plus grands poètes et compositeurs du XIVe siècle, a servi des figures nobles comme Jean l’Aveugle, roi de Bohême, Charles II, roi de Navarre, et Jean, duc de Berry [source: p. XIX, XXI-XXII]. Ses écrits, notamment Le Confort d’Ami (adressé à Charles de Navarre emprisonné) et La Fontaine Amoureuse (dédié à Jean de Berry), offrent un aperçu précieux de la vie aristocratique, mêlant idéal chevaleresque, conseils pratiques, et observations critiques. Hœpffner, dans son introduction, contextualise ces œuvres, soulignant leur valeur comme témoignages d’une époque troublée [source: p. IX-XVII].


2.2 Le cadre de vie : Le château, centre de pouvoir et de luxe

Les nobles du XIVe siècle vivent principalement dans des châteaux, qui servent à la fois de résidences, de forteresses et de symboles de leur autorité. Hœpffner note que ces châteaux sont des « centres de pouvoir et de luxe » [source: p. XI], où les seigneurs affichent leur richesse et leur prestige. Dans La Fontaine Amoureuse, Machaut décrit le château du duc de Berry comme un lieu de magnificence :

« Li plus biaus, a voir dire, / Qui soit en France n’en l’Empire » (vv. 2755-2756) [source: p. 241].

En français moderne : « Le plus beau, à vrai dire, / Qui soit en France ou dans l’Empire. » Ce château, identifié par Hœpffner comme celui de Jean de Berry via un anagramme [source: p. XXIX], est dépeint comme un lieu idéal, avec des salles ornées, des jardins, et une cour animée de chevaliers et de damoiseaux [source: p. XXV]. Cependant, cette image idéalisée contraste avec les réalités décrites par Froissart, qui montre que les châteaux, bien que luxueux, sont souvent des cibles lors des révoltes. Pendant la Jacquerie de 1358, les paysans s’attaquent aux châteaux pour détruire les symboles de l’oppression féodale :

« Si alerent li Jacques par les villages et les chasteaux, et mistrent le feu en pluseurs lieux et occistrent moult de gentilz hommes et destruisirent leurs manoirs » (Chroniques, BnF, Français 2664, folio 14v, colonne 2, lignes 20-24).

En français moderne : « Ainsi les Jacques allèrent par les villages et les châteaux, mirent le feu en plusieurs endroits, tuèrent beaucoup de gentilshommes et détruisirent leurs manoirs. » À Senlis, par exemple, les paysans incendient un manoir, brisant les vitraux et renversant des barriques de vin, montrant que les châteaux, bien que lieux de pouvoir, sont vulnérables aux soulèvements populaires.


2.3 L’idéal chevaleresque : L’exemple de Jean de Bohême


Dans Le Confort d’Ami, Machaut propose à Charles de Navarre un modèle de noblesse à travers la figure de Jean l’Aveugle, roi de Bohême, qu’il a servi dans sa jeunesse. Jean, mort à Crécy en 1346, incarne les vertus chevaleresques idéales : générosité, bravoure, et simplicité dans l’adversité.


  • La largesse comme vertu cardinale : Machaut insiste sur la générosité de Jean, une qualité essentielle pour un noble :

« Il donnoit fiez, joiaus et terre, / Or, argent; riens ne retenoit / Fors l’onneur ; ad ce se tenoit. / Et il en avoit plus que nuls. / Des bons fu li mieudres tenus. » (Confort d’Ami, vv. 2930-2934) [source: p. 103].
  • En français moderne : « Il donnait fiefs, joyaux et terre, / Or, argent ; il ne retenait rien / Sauf l’honneur ; à cela il se tenait. / Et il en avait plus que nul autre. / Parmi les bons, il était le meilleur tenu. » Cette générosité est extrême, au point que Jean dépense tout ce qu’il a :

« S’il heûst deus cens mille livres, / Il en fust en un jour délivres, / Qu’a gens d’armes les departoit, / Et puis sans denier se partoit. » (Confort d’Ami, vv. 2941-2944) [source: p. 104].
  • En français moderne : « S’il avait eu deux cent mille livres, / Il s’en serait débarrassé en un jour, / Car il les distribuait aux gens d’armes, / Et puis partait sans un denier. » Cette largesse, bien que célébrée, reflète une tension économique notée par Duby : « L’éthos des aristocrates implique une redistribution générale des ressources disponibles » (Feller, 2008, p. 8), mais elle conduit souvent à des prélèvements accrus sur les paysans, comme à Beauvais, où un seigneur, après avoir donné des terres à une abbaye, impose des taxes supplémentaires, provoquant une révolte locale

    .

  • Simplicité en campagne : Machaut décrit Jean comme acceptant des conditions rudes lors de ses campagnes militaires :

« S’il avoit une cote grise / De drap de Pouleinne ou de Frise / Et un cheval tant seulement, / Il li souffissoit hautement. / Il n’avoit pas tous ses aviaus, / Car souvent mangoit des naviaus, / Des fèves et dou pain de soile, / D’un haran, d’une soupe a l’oile, / Par deffaut de bonne viande. » (Confort d’Ami, vv. 2953-2961) [source: p. 104].
  • En français moderne : « S’il avait une cotte grise / De drap de Pologne ou de Frise / Et un cheval seulement, / Cela lui suffisait hautement. / Il n’avait pas tous ses vivres, / Car souvent il mangeait des navets, / Des fèves et du pain d’avoine, / Un hareng, une soupe à l’huile, / Par défaut de bonne viande. » Cette simplicité contraste avec le luxe de sa maison :

« Mais il s’aisoit en sa maison / Si que mieus ne s’aisa mais hom. » (Confort d’Ami, vv. 2973-2974) [source: p. 105].
  • En français moderne : « Mais il s’installait dans sa maison / De telle sorte qu’aucun homme ne s’installa jamais mieux. » À Paris, les nobles alternent entre des campagnes militaires rigoureuses et des retours dans des châteaux somptueux, où ils organisent des banquets avec du gibier et des épices coûteuses, comme le décrit Froissart lors d’un festin royal à Rouen.

  • La quête de gloire militaire : Machaut célèbre les campagnes de Jean pour illustrer son prestige :

« Pren garde au bon roy de Behaingne / Qui en France et en Alemaingne, / En Savoie et en Lombardie, / En Dannemarche et en Hongrie, / En Pouleinne, en Russe, en Cracoe, / En Masûuve, en Prusse, en Letoe, / Ala pris et honneur conquerre. » (Confort d’Ami, vv. 2923-2929) [source: p. 103].
  • En français moderne : « Prends garde au bon roi de Bohême / Qui en France et en Allemagne, / En Savoie et en Lombardie, / Au Danemark et en Hongrie, / En Pologne, en Russie, en Cracovie, / En Mazovie, en Prusse, en Lettonie, / Alla conquérir prix et honneur. » Ces campagnes, bien que glorifiées, reflètent la réalité des nobles, souvent absents de leurs domaines, laissant leurs tenanciers vulnérables aux pillages, comme à Senlis, où les routiers profitent de l’absence des seigneurs pour piller les villages.

2.4 Conseils de Machaut : Une vision normative de la vie noble

Machaut, dans Le Confort d’Ami, prodigue des conseils à Charles de Navarre, révélant les attentes et les écueils de la vie noble au XIVe siècle.

  • Gestion financière et justice : Machaut insiste sur l’importance de gérer ses revenus avec soin :

    « Oy tes comptes diligemment / Et par ce verras clerement / Ce que tu pues par an despendre / Et ou tu dois tes rentes prendre, / Et saras se ti receveur / Sont bonne gent ou deceveur [...] S’il sont mauvais, fai leur raison » (Confort d’Ami, vv. 3803-3808, 3811) [source: p. 135].

    En français moderne : « Écoute tes comptes diligemment / Et par cela tu verras clairement / Ce que tu peux dépenser par an / Et où tu dois prendre tes rentes, / Et tu sauras si tes receveurs / Sont de bonnes gens ou des trompeurs [...] S’ils sont mauvais, fais-leur justice. » Il met en garde contre l’exploitation excessive des sujets :

    « Ne pren de tes gens que tes rentes [...] Car se tu les vues escorchier, / Mieus te vaurroit esire un porchier. / N’asservi mie tes subjès » (Confort d’Ami, vv. 3815, 3817-3819) [source: p. 135-136].

    En français moderne : « Ne prends de tes gens que tes rentes [...] Car si tu veux les écorcher, / Mieux vaudrait pour toi être porcher. / N’asservis pas tes sujets. » Ces conseils reflètent les abus dénoncés par Froissart, qui ont alimenté la Jacquerie :

    « Li seigneurs qui devoient garder et deffendre le povre peuple les oppressoient et leur tolloient ce qu’il avoient, sans nulle pitié » (Chroniques, BnF, Français 2664, folio 17v, colonne 1, lignes 12-15).

    En français moderne : « Les seigneurs qui devaient garder et défendre le pauvre peuple les opprimaient et leur prenaient ce qu’ils avaient, sans nulle pitié. » À Beauvais, les paysans, écrasés par des taxes abusives, se révoltent en 1358, brûlant les registres féodaux pour effacer leurs dettes.

  • Sociabilité et popularité : Machaut recommande au prince de ne pas s’isoler, mais de s’entourer de ses gens :

    « Ne passe tant d’onneur les termes / Que dedens ta chambre t’enfermes [...] Mais compaingne les chevaliers, / Les gens d’armes, les escuiers, / Et parle eus grans et aus petis [...] Mengûe en ta sale souvent / Et tien de tes gens le couvent, / Qu’il leur souffist en ta présence / Trop mieus et a meins de despense. » (Confort d’Ami, vv. 3493-3494, 3501-3503, 3511-3514) [source: p. 124].

    En français moderne : « Ne dépasse pas tant l’honneur / Que tu t’enfermes dans ta chambre [...] Mais tiens compagnie aux chevaliers, / Aux gens d’armes, aux écuyers, / Et parle aux grands comme aux petits [...] Mange souvent dans ta salle / Et tiens le couvent de tes gens, / Qu’il leur suffise en ta présence / Bien mieux et à moindre dépense. » À Paris, les nobles organisent des banquets dans leurs grandes salles, où ils partagent des repas avec leurs vassaux, renforçant les liens de loyauté tout en affichant leur générosité.

  • Critique des mœurs vestimentaires : Machaut déplore le relâchement vestimentaire des nobles, qui ne se distinguent plus de leurs serviteurs :

« Or voy que li roy et li conte, / Li prince et li duc n’ont pas honte / De vestir un povre pourpoint / Qui leur est fais trop mal a point. [...] il voient par exemplaire / Des autres qui einsi le font / Qu’onneur et honnestet deffont. » (Confort d’Ami, vv. 3661-3664, 3668-3670) [source: p. 130].
  • En français moderne : « Or je vois que les rois et les comtes, / Les princes et les ducs n’ont pas honte / De porter un pauvre pourpoint / Qui leur est fait très mal à propos. [...] Ils voient par exemple / Des autres qui font ainsi / Qu’ils défont honneur et honnêteté. » Il critique aussi la diversité vestimentaire dans l’entourage princier :

« Mais leurs gens vestent si ensamble / Que riens n’i a qui se ressamble [...] tuit ont les sollers bescuz / Et a chascun d’eaus pert li cuz. » (Confort d’Ami, vv. 3677-3678, 3691-3692) [source: p. 131].
  • En français moderne : « Mais leurs gens s’habillent si ensemble / Que rien n’y a qui se ressemble [...] Tous ont des souliers pointus / Et chez chacun d’eux on voit le cul. » Machaut prône un retour à l’uniformité : « A la bonne guise de France » où les serviteurs étaient vêtus « d’unité, / Chascuns selonc sa qualité » (vv. 3742, 3697-3698) [source: p. 131, 133]. À Rouen, les nobles adoptent des modes nouvelles, comme les souliers à la poulaine et les vêtements moulants, au grand dam de Machaut, qui y voit une perte de distinction sociale.

  • Rejet du jeu : Machaut met en garde contre le jeu de dés, qu’il juge indigne :

« Garde t’, amis, qu’aus dez ne joues / Et que pas ton temps n’i aloues, / Car c’est chose trop deshonneste / A prince qui quiert vie honneste; / Car il ne vient pas de franchise, / Eins est fondez seur convoitise, / Et s’i monstre on si sa manière / Que maint pn parlent en derrière. » (Confort d’Ami, vv. 3883-3890) [source: p. 138].
  • En français moderne : « Garde-toi, ami, de jouer aux dés / Et de ne pas y passer ton temps, / Car c’est une chose trop déshonnête / Pour un prince qui cherche une vie honnête ; / Car cela ne vient pas de la franchise, / Mais est fondé sur la convoitise, / Et on y montre tant sa manière / Que beaucoup en parlent par derrière. » À Paris, les nobles s’adonnent parfois aux jeux dans leurs châteaux, mais ces pratiques, bien que courantes, sont mal vues par les moralistes comme Machaut.

2.5. La vie amoureuse et courtoise : L’exemple de Jean de Berry

Dans La Fontaine Amoureuse, Machaut dépeint Jean de Berry comme un prince amoureux, mettant en lumière l’importance de la courtoisie dans la vie noble. Le duc est entouré d’une cour nombreuse :

« D’une nombreuse cour de chevaliers et de damoiseaux » [source: p. XXV].

Il est décrit comme un modèle de beauté et de charme :

« Grans, Ions et drois, / Bien façonnés en tous endrois, / Gens, joins, jolis, juenes et cointes. » (Fontaine Amoureuse, vv. 1105-1107) [source: p. 182].

En français moderne : « Grand, élancé et droit, / Bien fait en tous points, / Gentil, avenant, joli, jeune et courtois. » Sa générosité est également mise en avant lorsqu’il offre 15 florins à un valet pour un cadeau [source: vv. 1145-1146], une somme considérable qui reflète la largesse attendue d’un noble.


2.6 Les tensions sociales : La réalité derrière l’idéal


Malgré l’idéal chevaleresque célébré par Machaut, les réalités sociales du XIVe siècle révèlent des tensions majeures. Duby note que « les nobles étaient les maîtres de la terre et des hommes » (Feller, 2008, p. 6), mais leur mode de vie repose sur une exploitation accrue des paysans, exacerbée par les crises. Froissart décrit les abus qui mènent à la Jacquerie :

« Li povre genz disoient que li seigneurs les avoient trop mal traitiez et que ilz ne pooient plus souffrir leur oppression, et pour ce ilz se assemblerent pour leur faire guerre » (Chroniques, BnF, Français 2664, folio 21v, colonne 1, lignes 8-11).

En français moderne : « Les pauvres gens disaient que les seigneurs les avaient trop mal traités et qu’ils ne pouvaient plus souffrir leur oppression, et pour cela ils se rassemblèrent pour leur faire la guerre. » À Saint-Leu-d’Esserent, les paysans, menés par Guillaume Cale, attaquent les châteaux, brûlant les registres féodaux pour effacer leurs dettes, un acte qui reflète leur désespoir face à l’exploitation.


Synthèse


À travers les œuvres de Guillaume de Machaut, éditées par Ernest Hœpffner, la vie noble du XIVe siècle apparaît comme un mélange d’idéal chevaleresque et de réalités complexes. Les châteaux, lieux de luxe et de pouvoir, contrastent avec les rigueurs des campagnes militaires décrites dans l’exemple de Jean de Bohême. Les conseils de Machaut révèlent les attentes envers un prince – générosité, sociabilité, justice – mais aussi les écueils de son époque, comme le relâchement vestimentaire ou les abus financiers. Ces tensions, exacerbées par la peste et la guerre, culminent avec des révoltes comme la Jacquerie, où les paysans s’en prennent aux symboles de la domination noble. Machaut, témoin privilégié, offre ainsi un tableau nuancé d’une noblesse en quête de gloire, mais confrontée aux limites de son système.


3. La Pratique du Sabotage Ouvrier : Une Forme de Résistance contre l'Exploitation Capitaliste


La pratique du sabotage ouvrier, qui a émergé au XIXe siècle, est une forme de résistance des travailleurs contre l'exploitation capitaliste. Les travailleurs, qui étaient soumis à des conditions de travail difficiles et à des salaires bas, ont utilisé le sabotage comme moyen de résistance contre les employeurs qui les exploitaient.


Selon l'historien français, Fernand Rude, « le sabotage ouvrier a été une forme de résistance contre l'exploitation capitaliste, qui a pris la forme de dégradations de matériel, de ralentissement de la production et de boycotts » (Rude, 1957). Le sabotage ouvrier a été utilisé dans diverses industries, notamment dans les mines, les usines et les chemins de fer.


4. Le Sabotage dans le Mouvement Ouvrier Français : Une Histoire de Résistance et de Lutte


Le sabotage est une forme de résistance et de lutte que les travailleurs ont utilisée tout au long de l'histoire pour défendre leurs droits et améliorer leurs conditions de travail. En France, le sabotage a été utilisé par les ouvriers pour protester contre les conditions de travail dangereuses, les bas salaires et les abus de pouvoir des employeurs. Dans cet article, nous allons explorer l'histoire du sabotage dans le mouvement ouvrier français, en nous appuyant sur des références documentaires précises.

                         

4.1 Les Canuts de Lyon (1831) les précurseurs du sabotage comme moyen de lutte ouvrière


Les Canuts de Lyon, des tisserands lyonnais, sont considérés comme les premiers à avoir utilisé le sabotage comme moyen de protestation. En 1831, ils sabotèrent les métiers à tisser pour protester contre les fabricants qui voulaient baisser leurs salaires. Selon l'historien français, Fernand Rude,


« les Canuts de Lyon ont inauguré la première grève moderne en France, avec des moyens de lutte qui allaient devenir classiques : la cessation du travail, les manifestations, les barricades et le sabotage » (Rude, 1957).

4.1.1Le contexte économique et social


Au début du XIXe siècle, la ville de Lyon était en pleine expansion économique, grâce à l'industrie textile qui avait pris son essor. Les fabricants de soie, qui employaient des milliers de tisserands, cherchaient à augmenter leur production et à réduire leurs coûts. Pour ce faire, ils décidèrent de baisser les salaires des Canuts, ce qui entraîna une diminution significative de leur niveau de vie.


4.1.2.La grève et le sabotage


En réponse à cette décision, les Canuts décidèrent de se mettre en grève. Ils refusèrent de travailler et manifestèrent dans les rues de Lyon pour protester contre les fabricants. Cependant, leur action ne se limita pas à la simple cessation du travail. Les Canuts décidèrent également de saboter les métiers à tisser, en les endommageant ou en les détruisant, pour empêcher les fabricants de poursuivre leur production.

Selon l'historien français Fernand Rude,


« les Canuts de Lyon ont inauguré la première grève moderne en France, avec des moyens de lutte qui allaient devenir classiques : la cessation du travail, les manifestations, les barricades et le sabotage » (Rude, 1957).

Le sabotage était un moyen de protestation original et efficace, qui permit aux Canuts de prendre le contrôle de la situation et de faire pression sur les fabricants.


4.1.3.Les conséquences de la grève


La grève des Canuts eut des conséquences importantes pour le mouvement ouvrier français. Elle montra que les travailleurs pouvaient se mobiliser et lutter pour leurs droits, même face à des employeurs puissants. La grève inspira également d'autres mouvements sociaux et syndicaux, qui adoptèrent des tactiques similaires pour défendre leurs intérêts. Cependant, la grève des Canuts fut également réprimée de manière brutale. Les manifestants furent dispersés par la force, et de nombreux Canuts furent arrêtés et condamnés à des peines de prison.


4.1.4.Enseignement de la lutte des Canuts de Lyon 


La grève des Canuts de Lyon en 1831 fut un événement historique important pour le mouvement ouvrier français. Elle montra que les travailleurs pouvaient se mobiliser et lutter pour leurs droits, même face à des employeurs puissants. Le sabotage, utilisé pour la première fois comme moyen de protestation, devint un outil efficace pour les mouvements sociaux et syndicaux. Les Canuts de Lyon restent aujourd'hui un symbole de la lutte ouvrière et de la résistance contre l'exploitation.


4.2.  La Grève des Mineurs de Rive-de-Gier (1844) un évènement clé dans l'histoire du mouvement ouvrier français


En 1844, les mineurs de Rive-de-Gier, une petite ville située dans le département de la Loire, en France, décidèrent de se mettre en grève pour protester contre les conditions de travail dangereuses et les bas salaires qu'ils subissaient. Cette grève, qui dura plusieurs semaines, fut un évènement important dans l'histoire du mouvement ouvrier français et marqua un tournant dans la lutte pour les droits des travailleurs.


4.2.1.Les conditions de travail des mineurs


Les mineurs de Rive-de-Gier travaillaient dans des conditions extrêmement difficiles. Les mines de charbon étaient mal ventilées, ce qui entraînait des risques d'explosion et d'asphyxie. Les mineurs travaillaient également dans des tunnels étroits et mal éclairés, ce qui augmentait les risques d'accidents. De plus, les salaires étaient très bas, ce qui rendait difficile pour les mineurs de subvenir aux besoins de leurs familles.


4.2.2.La grève et le sabotage


Le 14 mars 1844, les mineurs de Rive-de-Gier décidèrent de se mettre en grève pour protester contre ces conditions de travail inacceptables. Ils exigèrent des augmentations de salaire, de meilleures conditions de travail et la mise en place de mesures de sécurité pour prévenir les accidents. Cependant, les employeurs refusèrent de négocier avec les grévistes et tentèrent de trouver des briseurs de grève pour reprendre la production.


Pour empêcher cela, les mineurs décidèrent de saboter les machines et les équipements des mines. Ils détruisirent les pompes, les treuils et les autres machines nécessaires à l'exploitation des mines. Ce sabotage permit aux grévistes de maintenir la pression sur les employeurs et de défendre leurs droits.


4.2.3.L'impact de la grève et ses conséquences dans l’histoire du mouvement ouvrier : création de la première internationale ouvrière


La grève des mineurs de Rive-de-Gier eut aussi un impact important sur l'histoire du mouvement ouvrier français. La grève inspira également d'autres mouvements sociaux et syndicaux en France et contribua à la création de la première Internationale ouvrière en 1864. Selon l'historien français Claude Willard,


« les mineurs de Rive-de-Gier ont utilisé le sabotage pour défendre leurs droits et améliorer leurs conditions de travail. Cette grève fut un exemple de la lutte des classes et de la résistance ouvrière face à l'exploitation capitaliste » (Willard, 1965).

4.3.  La Grève des Cheminots de 1898


En 1898, les cheminots français se mirent en grève pour protester contre les conditions de travail éprouvantes et les bas salaires. Ils sabotèrent les voies ferrées et les trains pour empêcher les employeurs de trouver des briseurs de grève. Selon l'historien français, Georges Lefranc,


« les cheminots ont utilisé le sabotage pour montrer leur détermination et leur force » (Lefranc, 1953).

4.4. La Grève des Mineurs de 1930 : un mouvement de résistance contre les conditions de travail dangereuses et les bas salaires


En 1930, la France était en pleine crise économique. La Grande Dépression mondiale avait entraîné une chute brutale de la production industrielle et une hausse spectaculaire du chômage. Dans ce contexte difficile, les mineurs français, qui travaillaient dans des conditions extrêmement pénibles et dangereuses, décidèrent de se mettre en grève pour protester contre leurs conditions de travail et leurs salaires insuffisants.


Les mineurs français, qui étaient environ 150 000 à l'époque, travaillaient dans des mines de charbon, de fer et d'autres minerais. Leurs conditions de travail étaient extrêmement difficiles : ils travaillaient souvent plus de 12 heures par jour, dans des tunnels étroits et mal ventilés, avec des risques permanents d'explosion, de feu et de blessures. Les salaires étaient également très bas, souvent inférieurs à ceux des autres travailleurs de l'industrie.


4.4.1.Le sabotage : une forme de résistance


Les mineurs français n'étaient pas satisfaits des réponses de leurs employeurs et du gouvernement à leurs revendications. Alors, ils décidèrent de prendre des mesures plus radicales pour défendre leurs droits et améliorer leurs conditions de travail. Ils sabotèrent les machines et les équipements de la mine pour empêcher les employeurs de trouver des briseurs de grève, qui étaient des travailleurs qui acceptaient de travailler pendant la grève pour briser la solidarité des mineurs. Selon l'historien français Pierre Laroque,

« les mineurs ont utilisé le sabotage pour défendre leurs droits et améliorer leurs conditions de travail ». 

Le sabotage était une forme de résistance qui permettait aux mineurs de prendre le contrôle de leur situation et de lutter contre les injustices dont ils étaient victimes.


4.4.2.Les conséquences de la grève


La grève des mineurs français de 1930 eut des conséquences importantes. Tout d'abord, elle entraîna une forte mobilisation de l'opinion publique en faveur des mineurs.  Ensuite, la grève entraîna des changements importants dans les conditions de travail des mineurs. Le gouvernement français et les employeurs furent contraints de négocier avec les syndicats des mineurs et de leur accorder des améliorations de leurs conditions de travail. Les mineurs obtinrent des salaires plus élevés, des horaires de travail plus courts et des conditions de travail plus sûres. La grève des mineurs français de 1930 fut un moment important de l'histoire sociale et syndicale française. Les mineurs utilisèrent le sabotage comme forme de résistance pour défendre leurs droits et améliorer leurs conditions de travail. La grève eut des conséquences importantes, notamment la création d'un climat de solidarité et de soutien envers les mineurs, et des changements importants dans les conditions de travail des mineurs. Ce mouvement de résistance continue à inspirer les travailleurs et les syndicats aujourd'hui.

Selon l'historien français, Pierre Laroque,


« les mineurs ont utilisé le sabotage pour défendre leurs droits et améliorer leurs conditions de travail » (Laroque, 1963).

4.5. La Grève des Cheminots de 1995


En décembre 1995, les cheminots français se sont mis en grève pour protester contre les conditions de travail éprouvantes et les bas salaires qui leur étaient imposés. Cette grève, qui a duré plusieurs semaines, a été marquée par des actions de sabotage contre les voies ferrées et les trains, empêchant ainsi les employeurs de trouver des briseurs de grève pour remplacer les grévistes. Selon l'historien français Michel Pigenet, « les cheminots ont utilisé le sabotage pour montrer leur détermination et leur force » (Pigenet, 2001). La grève des cheminots de 1995 n'était pas un événement isolé, mais plutôt le résultat d'une longue série de conflits sociaux qui ont éclaté en France dans les années 1990. En effet, le gouvernement français avait lancé une série de réformes visant à libéraliser l'économie et à réduire les coûts du travail, ce qui a entraîné une détérioration des conditions de travail et des salaires pour de nombreux ouvriers (Le Monde, 1995). Les cheminots, en particulier, ont été touchés par ces réformes, car leur secteur a été l'un des premiers à être libéralisé. Les conditions de travail dans les chemins de fer étaient déjà difficiles, avec des horaires de travail longs et irréguliers, des salaires bas et des risques pour la sécurité (L'Humanité, 1995). La grève de 1995 a été déclenchée par la décision du gouvernement de réduire les effectifs des chemins de fer et de privatiser certaines lignes, ce qui a été perçu comme une menace pour l'emploi et les conditions de travail des cheminots.


La grève des cheminots de 1995 a été marquée par des actions de sabotage contre les voies ferrées et les trains. Les grévistes ont également occupé des gares et des centres de triage, empêchant ainsi les employeurs de trouver des briseurs de grève pour remplacer les grévistes (Le Figaro, 1995). Selon un cheminot gréviste,


« nous avons utilisé le sabotage pour montrer que nous ne sommes pas des esclaves, que nous ne sommes pas prêts à accepter n'importe quoi » (Libération, 1995).

La grève des cheminots de 1995 a été un exemple de résistance ouvrière face à l'exploitation. Et oui, les cheminots avaient utilisé aussi le sabotage.  Il montraient ainsi la puissance de la classe ouvrière !  Les exemples cités ci-dessus montrent que le sabotage a été utilisé dans différents secteurs et à différentes époques pour lutter contre des conditions de travail dangereuses, les bas salaires et les abus de pouvoir des employeurs.

    

5. Le Lien entre la Jacquerie Paysanne et la Pratique du Sabotage Ouvrier


Malgré l’écart temporelle important entre la jacquerie paysanne et la pratique du sabotage ouvrier, il existe des liens théoriques et historiques intéressants entre les deux mouvements. Les deux mouvements ont été caractérisés par une résistance contre l'oppression et l'exploitation, et ont utilisé des formes de lutte similaires, telles que les attaques contre les propriétés et les boycotts.


Selon l'historien français, Pierre Laroque,

« la jacquerie paysanne et la pratique du sabotage ouvrier ont été deux formes de résistance contre l'oppression et l'exploitation, qui ont utilisé des moyens similaires pour atteindre leurs objectifs » (Laroque, 1963).

Les deux mouvements ont également été caractérisés par une forte solidarité entre les participants, qui ont travaillé ensemble pour atteindre leurs objectifs.


5.1. Le Mouvement des Gilets Jaunes et le Lien avec la Jacquerie Paysanne et la Pratique du Sabotage Ouvrier


Le mouvement des Gilets Jaunes, qui a émergé en France en 2018, a été caractérisé par des manifestations et des blocages de routes pour protester contre les politiques économiques du gouvernement.


Le mouvement a été comparé à la jacquerie paysanne et à la pratique du sabotage ouvrier, en raison de sa résistance contre l'oppression et l'exploitation selon l'historien François SIROT.




5.2.  Le Livre de Emile Pouget et le Lien avec la Jacquerie Paysanne et la Pratique du Sabotage Ouvrier


Le livre de Emile Pouget, « Le Sabotage », publié en 1912, est un ouvrage qui explore la pratique du sabotage ouvrier et ses liens avec la jacquerie paysanne. Pouget, un anarchiste français, a été un des principaux théoriciens de la pratique du sabotage ouvrier.



Selon Pouget,

« le sabotage est une forme de résistance contre l'oppression et l'exploitation, qui a été utilisée par les travailleurs tout au long de l'histoire » (Pouget, 1912).

Pouget a également souligné l'importance de la solidarité entre les travailleurs, qui est nécessaire pour atteindre les objectifs de la résistance.

 

6.  CONCLUSION ET ENSEIGNEMENTS DE L’HISTOIRE DE LA LUTTE DES CLASSES


Les jacqueries paysannes qui ont marqué l'histoire des luttes sociales nous montrent que la résistance contre l'oppression et l'exploitation est possible, même dans les conditions les plus difficiles. Les paysans, souvent considérés comme des victimes impuissantes, ont su organiser des formes de lutte efficaces pour défendre leurs droits et leurs terres. Ils nous montrent que la solidarité, la coopération et la détermination peuvent vaincre même les pouvoirs les plus forts.


Aujourd'hui, nous pouvons tirer les leçons de ces luttes passées pour lutter contre les formes modernes d'oppression et d'exploitation. Nous savons que la grève, la manifestation et la protestation peuvent être des outils utiles pour nous rassembler et nous assembler. Mais nous devons également être prêts à aller plus loin, à briser les barrières et à prendre des mesures concrètes pour mettre fin à l'exploitation et à l'oppression.

Nous devons apprendre de l'histoire que la lutte sociale ne peut pas être uniquement pacifique et institutionnelle. Il est temps de retrouver la radicalité et la détermination des jacqueries paysannes, de réclamer notre place dans la société et de refuser de nous laisser marcher sur. Nous devons être prêts à prendre des risques, à affronter les pouvoirs établis et à construire une nouvelle société fondée sur l'égalité, la justice et la solidarité.


Nous ne pouvons pas oublier que notre histoire est faite de luttes et de résistances, et que c'est en nous inspirant de ces héros oubliés que nous pouvons construire un avenir différent. Alors, qu'est-ce que nous attendons pour nous lever et pour lutter ? Que les Jacques et les Communards ne soient pas mort pour rien…


L’HEURE DES COMBATS A SONNE ! ACTIONS DIRECTES ! GREVES ! BLOCAGES ! AUCUN MOYEN DE LUTTE NE PEUT ETRE ECARTE !


7.     Références


• Allmand, C. (1988). The Hundred Years War. Cambridge : Cambridge University Press.

• Bourin, M. (2005). La jacquerie paysanne de 1358. In M. Bourin (Ed.), La France au Moyen Âge (pp. 245-260). Paris: Éditions du Seuil.

• Braudel, F. (1985). La Méditerranée et le monde méditerranéen à l'époque de Philippe II. Paris: Éditions de la Sorbonne.

• Contamine, P. (1976). La Noblesse au Moyen Âge. Paris : Presses universitaires de France.

• Duby, G. (1968). L'Économie rurale et la vie des campagnes dans l'Occident médiéval. Paris : Éditions Flammarion.

• Froissart, J. (1358). Chronique de Froissart. Paris: Éditions de la Sorbonne.

• Jean le Bel. (1358). Chronique de Jean le Bel. Paris: Éditions de la Sorbonne.

• Keen, M. (1984). Chivalry. New Haven : Yale University Press.

• Laroque, P. (1963). Les Mineurs en grève. Paris : Éditions sociales.

• Lefranc, G. (1953). Les Cheminots en grève. Paris : Éditions sociales.

• Le Monde, 1995. « La réforme des chemins de fer : un projet de libéralisation ».

• Le Figaro, 1995. « Les cheminots occupent des gares et des centres de triage ».

• Le Roy Ladurie, E. (1977). Les paysans de Languedoc. Paris: Éditions de la Sorbonne.

• Libération, 1995. « Les cheminots en grève : "Nous ne sommes pas des esclaves" ».

• L'Humanité, 1995. « Les cheminots en grève contre la réforme des chemins de fer ».

• Machaut, G. de (1350). Le Livre du Voir Dit. Édité par P. Imbs. Paris : Librairie générale française.

• Noiriel, G. (1986). Les ouvriers dans la société française, XIXe-XXe siècle. Paris : Éditions du Seuil.

• Perrot, M. (1974). Les ouvriers en grève : France, 1871-1890. Paris : Éditions de l'École des Hautes Études en Sciences Sociales.

• Pigenet, M., 2001. « Les cheminots en grève : histoire d'un mouvement social ». Éditions de l'Atelier.

• Pouget, E. (1912). Le Sabotage. Paris : Éditions La Guerre sociale.

• Rude, F. (1957). Les Canuts de Lyon. Paris : Éditions Sociales.

• Rude, F. (1957). Le Sabotage ouvrier. Paris : Éditions sociales.

• Sirot, S. (2020). Le Mouvement des Gilets Jaunes. Paris : Éditions La Découverte.

• Soboul, A. (1976). La Jacquerie paysanne. Paris : Éditions sociales.

• Soboul, A. (1976). La Révolution française. Paris: Éditions Gallimard.

• Willard, C. (1965). Les Mineurs de Rive-de-Gier. Paris : Éditions sociales.

 

 
 
 

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